Pierre-Charles
Aubrit Saint Pol
Les jours de la nuit
Le sourire blessé de notre enfant
C’est l’expérience de ma douleur face à mon fils bafoué.
C’est ma déception face aux clercs passifs à force de crainte du
scandale.
C’est aussi mon combat pour la justice.
DOULEUR (peinture Eric Monticolo)
TÉMOIGNAGE © manuscrit.com, 2002 ISBN: 2-7481-2159-7
(pour le fichier numérique) ISBN: 2-7481-2158-9 (pour le livre imprimé)
LE PROCÈS VERBAL Lundi, 4 décembre 2000 à 21 heures 30
Mercredi, 6 décembre à 12 heures 30.
Vendredi 8 décembre, dans la journée.
Lundi 18 décembre à 10 heures 30.
Mercredi, 20 décembre à 10 heures.
Correspondance du chemin de croix
Jean-Paul II et le crime de pédophilie
Découvert par notre
réseau de Grands Lecteurs (libraires, revues, critiques littéraires et de
chercheurs), ce manuscrit est imprimé tel un livre. D’éventuelles fautes
demeurent possibles ; manuscrit.com, respectueuse de la mise en forme adoptée
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Ce livre est dédié à
tous les parents mais surtout pour ceux qui ont eu un enfant victime d’un
pervers pédophile. Ils sont à jamais meurtris dans leur paternité et maternité,
comme ils sont meurtris dans leur chair. j’espère que ce témoignage apportera
une meilleure compréhension sur une souffrance encore méconnue et méprisée,
trop souvent rejetée, parce qu’elle concerne la dignité de la personne et
qu’elle touche au mystère de la vie, au principe de génération. Il n’est pas
permis d’introduire un enfant dans le monde des adultes par la porte la plus
sale, la plus sombre. Ce crime est un acte que l’on devrait qualifier de crime
contre l’humanité, il entre dans la liste des crimes imprescriptibles. Il ne
peut y avoir envers lui aucune complaisance, ni complicité d’aucune sorte même
si le coupable demeure un homme et, qu’à ce titre, on lui doit les
considérations découlant de la dignité de la personne humaine.
C’est dans la
souffrance que j’écris ce livre. Une souffrance imprévisible. Elle est venue
frapper notre maison comme tant d’autres. Si elle est imprévisible, c’est que
l’inimaginable ne s’imagine pas. Je relate les faits dans leur
cruauté, comme le capitaine rédige son journal de bord. A partir de cette
relation, je propose au lecteur une base susceptible de l’aider dans sa
réflexion. Je souhaite que ce témoignage contribue à la réflexion sur ce fléau,
qu’il aide ceux qui traversent une épreuve similaire et malheureusement bien
plus cruelle. Je n’ignore pas que l’expérience des uns est peu de chose. Mais
pour le moment, je ne vois ma contribution au soulagement de mes frères
précipités dans ce genre de souffrance que sous cette forme.
« Papa, il faut que je
te parle, c’est au sujet de mon trimestre ! » c’est au salon que nous nous
installâmes. La nuit était noire, la maison entrait dans son sommeil. Les
livres, sur leur rayon, conféraient à cette pièce une austérité inhabituelle.
Dans le regard de mon fils, Louis-Charles, je
reconnus ce trait noir que j’observais depuis quelque temps. Il barrait ses
yeux gris-vert. Ce soir là, il était plus sombre, une
crainte crispa subitement son visage et le durcit. J’ignorais pourquoi, mais
j’avais peur de ce qu’il allait me dire. Je m’efforçais de la dissimuler par un
sourire certainement niais, car je me l’adressais. « Papa, tu vas être déçu par
mon travail, je n’ai pas de bons résultats pour ce trimestre. Dans les contrôles,
je ne sais plus traduire ce que je comprends de mes cours. Papa, il faut porter
plainte ! » Pourquoi me demandait-il une telle démarche ? Qu’est-ce que sa mère
et moi n’avions pas compris ? Pourquoi une telle demande ? Nous avions convenu
que cette démarche ne s’imposait pas, au tant pour son bien que par respect
pour notre Eglise diocésaine qui faisait face à une épreuve de même nature mais
beaucoup plus grave et dont le coupable était un prêtre. Sa mère et moi avions
craint qu’une démarche de cette nature lui nuise d’avantage qu’elle ne le
servirait. Nous n’étions pas certains que les faits relatés par Louis-Charles justifiaient des poursuites judiciaires,
considérant qu’il nous avait tout dit. Nous pensions qu’il surmonterait cette
épreuve, mais peut être voulions-nous nous en convaincre, peut être avions-nous
peur pour nous-mêmes. l’institution judiciaire nous
apparaissait immense, impersonnelle, une mécanique qui broie, trop éloignée du
citoyen. Il fallait répondre à la demande pressente de mon fils, je sentais que
son espérance dépendait de ma réponse : « Mon fils, nous allons te trouver une
aide psychologique. Demain matin, je prendrai contact avec le directeur du
lycée. Je dois en discuter avec maman. Monte te coucher. » Resté seul, dans le
silence du salon, j’étais suspendu au-dessus d’un vide. La nuit épaississait
les ténèbres introduites dans mon esprit. Fallait-il que notre amour de parents
fût à ce point pauvre, pour n’être pas parvenu à déchiffrer la barre noire qui
occupait le regard de notre fils. Un enfant est une promesse d’avenir. Mon
fils, à l’approche de ses seize ans, force mon regard sur cette promesse, qui
ne cesse de s’épaissir en une énigme. A cette période de la vie, les
adolescents sont forts d’une force animale et d’une fragilité angélique,
enfantine. Ils sont dans un débat qui n’appartient qu’à eux, qui ne souffre
aucune intrusion, notre rôle, en tant que parents, n’est rien d’autre que de
leur renouveler les béquilles et parfois, d’oser s’accrocher à l’une d’elle.
Elever un enfant, n’est, peut être rien d’autre, qu’armer un mystère sacral,
aider un sanctuaire à se défendre pour qu’il puisse mieux se donner à sa
mission de vie. Un enfant est un sourire, il nous dépouille par la permanence
de l’inquiétude et de l’espérance qui ne cessent de se
heurter en nous à son sujet. L’enfant est un chemin de salut.
«Ne quittez pas, je
vous passe Monsieur le Directeur. Ici, le papa de l’élève Saint Pol. Je
voudrais vous rencontrer. Mon fils, Louis-Charles,
nous a annoncé un trimestre catastrophique. Je crains, qu’il ne lui faille une
assistance psychologique. Il a subit l’empressement d’un ami pédophile qui lui
donnait des cours de mathématiques. Que dois-je comprendre ? En juin dernier,
notre fils s’est plaint du comportement trop familier de cet ami. Il eut à
subir des attouchements, nous avons rompu toutes relations dès que nous eûmes
cette confidence. Mais à ce jour, nous n’avons pas cru devoir faire d’autres
démarches, nous n’avons aucune autre information de gravité. Mais il nous
demande de porter plainte.
Monsieur,
votre fils devra peut être suivre une thérapie, vous ne pouvez brûler les
étapes. S’il vous demande de porter plainte, il faut que vous le fassiez. De
toutes les façons, le thérapeute communiquera les faits au procureur et
moi-même, je le ferai. Le mieux serait que vous portiez plainte, car le
procureur pourrait vous soupçonner de complicité ou vous accuser de recel
d’informations d’actes criminels sur mineur. » J’étais au pied du mur, il
fallait porter plainte, la loi m’y obligeait. Dans un premier temps je dois
convaincre mon épouse du bien fondé de cette démarche. Convaincre une mère que
la justice peut aider son fils n’est pas simple, mais convaincre une catalane,
dont la culture sociale ne porte pas allégrement à étaler sur le parvis un
scandale, surtout un scandale de cette nature, est un exploit. Malgré la
Tramontane et la Marinade, le Catalan n’aime pas les vagues. J’étais résolu de
ne pas engager seul cette démarche, elle concernait le couple, toute la
famille. Mais pour le moment ce qui m’inquiétait le plus, était de comprendre
pourquoi cette insistance à vouloir que nous portions plainte. Il ne nous avait
donc rien dit de cette affaire ! Y avait il des faits plus graves qu’il nous
dissimulait ? Cette interrogation justifiait que nous portions plainte. La
vérité devait être établie. Dans cette situation, justice seule peut le faire.
Le soir, la discussion avait été vive, ma femme acceptait cette démarche parce
que contrainte par la loi, mais son coeur disait non. Louis-Charles
était plus serein, il était cru. Nous avions reçu sa demande. Il se savait
reconnu. Mais l’atmosphère était lourde. Je m’enfonçais dans une nuit sans
étoile.
La table est mise, le
repas confectionné, il ne me reste qu’à cuire les beefsteaks. Le jour s’était
levé humide, il traînait dans notre esprit ses nuages sombres, bas. Au tour de
moi tout se fermait. Je suis face à un mur, je glisse dans une fosse à purin.
Mon épouse rentre de son travail, elle me repose la même question : « Est-ce la
bonne décision ? » La loi a-t-elle raison sur la psychologie de l’enfant ?
Doit-elle contraindre l’autorité parentale ? Notre réflexion intellectuelle
demeure dans l’ordre de la charité envers Dam, le pédophile. Sommes-nous en
conformité avec l’amour que nous devons à notre Eglise ? Notre fils,
supportera-t-il une démarche judiciaire de cette importance ? Nous n’avons
aucune réponse. Nous sommes seuls ! j’ai bien
téléphoné à son aumônier scout, il s’étonna que cette affaire resurgisse. J’eus
beau lui expliquer que Louis-Charles était en
dépression, il ne paraissait pas prendre la mesure de l’épreuve et
l’éventualité de notre démarche de toute évidence l’agaçait. Nous étions seuls,
et nous ignorions à quel point nous allions être seuls ; si nous avions pu
prévoir la traversée du désert que nous aurions à vivre, j’aurai refusé une
telle démarche, c’est trop inhumain. Nous sommes dans la cuisine, ma femme me
fait face, je supporte son regard craintif, désolé, accusateur. Je dissimule
mal mon désarroi. Je veux lui dire combien je l’aime. Je voudrais prendre sa
souffrance sur moi. Mieux que moi, elle pressent une révélation pénible. Elle
vient de me reprocher d’avoir introduit
ce
profanateur dans notre foyer, je n’ai aucune réponse. Entre nous et au coeur de
notre amour s’installe une douleur brûlanteQu’est-ce qui
nous a échappé ? Qu’est-ce que nous n’avions pas vu ni
entendu ? Les trois derniers de nos enfants regardent un feuilleton. Notre
fille aînée demande à ce que nous ne portions pas plainte, bien qu’elle fut la
première à découvrir la perversion de Dam. En difficulté en mathématiques, nous
lui avions conseillé de voir Dam, mais à notre stupéfaction elle nous répondit
: « A ce pédé, jamais je ne demanderai de l’aide !» Nous restâmes surpris de
cette prise de position, qui ne correspondait en rien à ce que nous savions de
lui. L’intuition de notre fille l’avait avertie. Notre fils rentre du lycée ?
Son comportement est si changé que nous avions l’impression que le soleil avait
réussi une percée à travers les nuages bas et bien sombres. Le matin, je lui
avais donné mon accord pour la plainte. Son regard recommence à s’ouvrir ! Mes
hésitations alors s’effacèrent, j’ai la conviction qu’il s’agit de la bonne
décision. Dans le silence de notre salon, dans la soirée d’un mois de juin très
printanier, mon fils tint à me parler : « Papa, comme nous en avions convenu,
je t’informe que je ne peux plus retenir Dam. Tu m’as fait confiance, mais je
ne supporte plus son comportement. Ce soir, il a introduit sa main dans la
poche de mon short et m.a touché le pénis. Je ne veux plus le revoir. » Je ne
pus rien savoir de plus. Il se tut comme une carpe.
Quelques dix mois plus tôt, il s’était plaint de son comportement qu’il
trouvait trop familier. Il refusa
que
j’intervienne et me fit promettre de n’intervenir qu’à sa demande. La qualité
des relations, entre nos enfants et nous, est fondée sur une confiance mutuelle
et un profond respect de la personne. Je me serais renié si j’étais intervenu
immédiatement et, je prenais le risque de perdre sa confiance. Notre fils avait
alors quinze ans, âge où un garçon a besoin d’être regardé comme un homme ;
quant à Dam, je ne pouvais imaginer le pire et, quant aux événements de juin,
au regard de ce que nous avait dit Louis-Charles,
nous pensions que l’incident était un accident de parcours et que, l’ayant
chassé de chez nous, il ne nous semblait pas utile, ni nécessaire de porter
plainte. Il n’est pas évident de se retourner contre un ami de près de vingt
années, nous ne pensions pas avoir à faire à un pervers. Ma décision de le
chasser de chez nous fut prise le jour même, mais je le lui signifiais le
lendemain en lui laissant sur son répondeur ma décision. Je l’encourageais à se
faire soigner et je l’assurais de ma prière. Mais il ne s’en tint pas là. Il me
téléphona et, sur le ton de la confidence, accusa mon fils de lui avoir fait
des avances lors d’un séjour à la montagne. Il organisait régulièrement des
week-ends pour plusieurs jeunes et subitement, au moment du départ, ces jeunes
ne venaient pas, mon fils se retrouvait seul avec lui. Nous avions confiance,
car en plus de son métier d’enseignant, il assumait des activités caritatives
aux près de jeunes de milieux défavorisés, puis nous étions convaincus qu’il
partageait nos valeurs spirituelles, morales et culturelles. Il y avait entre
lui et moi une amitié de 20 ans. On ne soupçonne pas quelqu’un qui a votre
confiance. L’accusation, qu’il portait sur notre fils, était terrifiante et
inacceptable. Depuis l’âge de 11 ans, Louis-Charles
est dans le mouvement scout et moi-même je suis un ancien scout. Je sais, que
s’il était perverti sur la morale sexuelle et même sur d’autres points, sa
perversion se serait révélée, le choc des relations, entre jeunes, fait que
toutes les personnalités se découvrent. Or, son comportement affirme le
contraire, il témoigne d’une haute idée de la pureté et du respect de sa
personne et des autres. En présence de cette accusation, je ressentis une colère
et un malaise qui s’effacèrent, car mon sentiment amical envers lui demeurait.
Je mis sa réaction sur le compte du trouble et d’une certaine peur. Pour moi,
l’incident était clos. Le lendemain, après en avoir parlé à mon épouse et à mon
fils, je revins sur cette accusation et décidais d’en référer à la direction du
lycée Notre Dame de Bon Secours où il enseignait. J’obtins d’elle, qui
apparemment ignorait tout de sa perversité, qu’il se mette en longue maladie
et, qu’il termine sa dernière année d’enseignant de façon à ce que Louis-Charles ne le rencontre pas. Dans cette circonstance
je fus son meilleur défenseur, car le directeur diocésain de l’enseignement
catholique voulait avertir l’inspection académique. Il aurait été immédiatement
suspendu, poursuivi en justice et sa retraite annulée. j’ai
obtenu qu’aucune démarche en ce sens n’ait lieu. Je voulais simplement
l’assurance que mon fils ne le rencontrerait pas au lycée. Je fus, pour ces
circonstances, d’une très grande naïveté.
J’étais loin
d’imaginer la bassesse de cet individu et encore moins l’étendue de sa
perversité. Le choc de cette découverte fut d’autant plus douloureux que je
suis naturellement porté à faire confiance à l’être humain. Quelle terrible
expérience que celle que je devrais affronter et, pour laquelle, je n’étais pas
préparé. Considérant qu’il fallait faire jouer la solidarité parentale,
j’avertis des amis communs de faire attention. Je ne fus cru que d’une seule
famille et rejeté des autres. L’une d’entres elles ira jusqu’à témoigner contre
nous et prendre non seulement sa défense, mais participer à une campagne de
diffamation que nous découvrirons plus tard et qui commença dès le mois de
juin. C’est une mère, la marraine d’un de nos enfants, qui en fut le pivot.
Elle utilisa une méthode proche des systèmes fascistes où se mêlaient
l’affectivité désordonnée, la rancune, la jalousie et une spiritualité déformée
par l’influence charismatique, milieu religieux où l’affectivité délétère
détruit les éléments objectifs du bon sens et de la raison. Il nous faudra
faire appel aux forces de police pour la faire taire. Dans l’après-midi du jour
où je lui signifiais de ne plus chercher à nous voir, il vint malgré mon refus.
Il cria, à travers la porte : «qu’il s’était mal expliqué» Il me glissa un mot
dans lequel il reconnaissait implicitement les faits et me laissait entrevoir
une aide financière si je me taisais, si je ne disais rien dans le milieu de
nos relations communes. Mais lui se garda bien de se taire et commença sa
campagne de diffamation le jour même. Fort heureusement, le scandale qu’il
provoqua ce jour là avait un témoin, je recevais un ami. Dans deux heures nous
serons au commissariat, la nourriture de ce déjeuner est amère. L’atmosphère
est lourde, nous doutons de nouveau de la droiture de notre démarche. Louis-Charles est joyeux. J’essaie de le faire parler, mais
en vain. Nous nous engageons dans l’avenue Maréchal
Leclerc, elle est bordée par une rangée d’anciens immeubles qui protégeaient
les expéditeurs de fruits et légumes. Réaménagée depuis le transfère du marché
de gros, son artère est décorée d’une rangée de palmiers et autres essences.
Elle longe la Têt que borde sur sa rive droite la gare routière, architecture
prétentieuse et incommode ainsi qu’un ensemble d’immeubles récents défigurant
la perspective qui s’ouvre sur le massif du Canigou depuis le pont Joffre. l’avenue Grande Bretagne la prolonge, elle est accablante de
tristesse, de laideur malgré les beaux restes de la Pépinière qui consolent le
regard accablé de ceux qui s’avancent vers le commissariat. Le ciel est bas,
sombre, la Marinade souffle glacée et humide comme un linceul. Durant le
trajet, Louis-Charles se mure dans un mutisme résolu.
Je n’obtiens aucune réponse à mes questions, si ce n’est ces quelques paroles :
«Tu dois comprendre papa, il faut penser aux autres ! Il ne doit plus pouvoir
recommencer»
Propos qui m’accablèrent, je ne comprenais pas où il voulait en venir ou je
craignais trop bien comprendre. j’avais peur. Nous
montons les quelques marches de l’immeuble gris à la façade impersonnelle et
étriquée. A l’accueil, un jeune planton inscrit notre demande. Nous montons et
entrons dans un bureau exigu de la brigade de la protection des mineurs. La
pièce carrée est vraiment petite et encombrée, défraîchie, les fenêtres sales,
sur le mur une carte départementale et des photographies d’avions. Deux
inspecteurs nous accueillent aimablement, leur visage exprime la lassitude de
ceux qui ont pour mission de recevoir les décharges de la misère humaine. La
chaleur excessive ajoute à la pesanteur de notre démarche, une impression
tragique. Je dépose le premier, je me rends compte que la plainte n’est pas
recevable, je sais trop peu de chose. Mon fils dépose à ma suite. Louis-Charles parle, je me tasse. Je tombe dans un
tombereau à purin. l’énormité de ce que j’entends me
fait rire, rire qui s’étouffe quand Louis-Charles, revivant les événements qu’il
décrit, pleure. Je me fige en un bloc dur. L’inimaginable ne se conçoit pas
facilement, il ne se conçoit pas du tout. Il est toujours pour les autres. Aujourd’hui,
il est pour moi, il m’emprisonne ! Mon garçon a été victime d’une tentative de
viol. Il eut à subir des pressions morales et gestuelles qui avaient pour but
d’obtenir son consentement en vue de satisfaire la perversion de cet individu.
Le bureau m’est devenu étranger, tout m’est étranger, tout s’effondre. A cet
instant là je n’ai plus rien, pas même mon fils. Je me regarde étranger à
moi-même. Je suis comme le guetteur au regard vide, absent de ce qu’il regarde.
C’est peut être cela l’instant avant la mort ? Mon fils est allé retrouver des
copains.
Je suis seul sur cette sinistre avenue. Je retourne vers mon épouse, plus
automate que réfléchi. Je ne suis plus certain d’être dans le monde réel, je ne
peux pas lutter contre une progression d’insensibilité. Je chute dans un puits
sans fond, indifférent à l’enterrement de mon corps. Quelque chose se meurt en
moi ! A mon aspect, ma femme comprend la gravité, elle s’efforce de me détendre
mais en vain, je me détache de tout ce qui m’entoure. La nuit est tombée. Tous
ont rejoint leur chambre. Moi, je suis au salon, affalé dans un fauteuil. Je
laisse les ténèbres m’ensevelir, elles étouffent le bruit des ruptures
successives qui se produisent en moi. Je suis calme en apparence, je sais que
j’explose. Je regagne mon lit, mon épouse fait semblant de dormir. J’ai décidé
de tuer l’homme, le profanateur de mon fils. Lui, qui a abîmé une amitié, sali
une maison, blessé une paternité. Le profanateur a fait entrer mon enfant dans
le monde des adultes par la porte la plus sale, la plus immonde et désespérante
des portes. Cet homme là doit mourir. Je n’avais rien vu durant ces trois
années. Je n’avais pas compris les silences de mon fils. Je n’avais pas entendu
les hurlements de son angoisse. Mon amour de père fut trop pauvre pour que je
puisse franchir le seuil des ténèbres. Une absence qu’il faut réparer. Seule,
la mort de Dam, un monstre, s’impose à moi, logique. Un devoir moral. Un devoir
de justice envers mon fils, qui effacera mon incompétence. Un devoir spirituel
puisque cette volonté de destruction programmée contre mon fils, le touche à l’âme, le touche dans son sourire. L’acte de le
tuer se présente à moi comme un geste extérieur à ma conscience qui s’est
évanouie. Si en cet instant on m’annonce ma mort, je l’accueille avec
indifférence, en souriant. Si l’on m’ordonne de me jeter sous une voiture, je
le fais avec le même détachement. Je ne suis plus moi. Je me regarde, voilà
tout ! Je me regarde comme on peut regarder la rue et ses passants. Dans sa
déposition, Louis-Charles relate les faits qui ne
laissent aucun doute sûr le projet de Dam : Il voulait en faire un objet de
plaisir ! Il voulait obtenir son consentement, il voulait en faire un
instrument docile pour la satisfaction de sa perversité et par ce consentement
rassurer sa conscience, après tout, l’enfant se sera laissé séduire tout
simplement. Mais, par la grâce de Dieu, ce méchant homme ne parvint à rien, si ce
n’est qu’à plonger mon fils dans un désarroi et un tourment qu’on imagine
difficilement. Les ravages sur un esprit ne sont guères quantifiables. Nous
recevions à notre table Dam qui, cinq minutes avant, essayait de pervertir Louis-Charles.
L’inimaginable ne s’imagine pas. Pourquoi, avait-il tu
ces faits ? Je n’ai toujours pas de réponse certaine. Je me crois coupable, ce
qui accentue ma décision de le tuer. Même si j’ai en perspective la prison,
c’est une éventualité qui m’apparaît comme une rançon à payer à la cité et non
pas comme une condamnation morale. Je suis convaincu de mon droit, un droit
naturel, un droit humain, rien qu’humain, pour quelqu’un que je considérais
encore comme un homme. (Quelques heures plus tard je prendrai la mesure de mon
erreur et de l’horreur morale, spirituelle et sociale de cette intention).
Je me lève résolu ! Je
suis même soulagé de ma décision. J’allais réparer ! A mon aspect, mon épouse
s’inquiète, je m’empresse de la rassurer. Mais comme ce jour est triste. Le
ciel est si bas qu’il ressemble au ciel des Flandres, laiteux, alourdi par de
sombres nuages informes, muets d’images. Les maisons voisines se retiennent de
pleurer. Les quelques passants trottent à pas menu, retenu, comme s’ils
marchaient sur un champ miné. Les mûriers de l’Ancien Champ de Mars sont
idiots. Les élèves ont une voix plus sourde, ils chahutent
moins violemment dans l’attente de l’autobus. Je ne
vois pas les lampions de Noël, ils ne sont pas à leur place, c’est incongru.
Mes enfants passeront leur premier Noël sans moi. En cet instant, ils
s’attablent pour le petit déjeuner. Louis-Charles
reste au lit, il a eu trop à supporter hier. Il doit retrouver son calme et
être présent pour me remplacer. La maison se vide, les trois derniers me disent
: « à midi ! » Avant de nous séparer, nous avons dit les prières, rien n’est
changé dans les apparences. Comme un automate, je range la table. Je laisse un
mot à l’intention de mon fils : « Louis-Charles, je
te demande pardon de n’avoir rien vu ni compris. Ne t’inquiète pas, je vais te
rendre justice. Je t’aime. Papa. » Je me rends au cours Maintenon, j’inscris
mes trois enfants à la cantine. J’entre dans la cathédrale, j’interpelle Dieu
et la Vierge Marie. Où étaient-ils pendant tout ce temps ? Je leur annonce que
je fais justice. Ecrasé par un accablement insurmontable, je demande à mon ami
François, le sacristain, de prendre soins de mes enfants. Mon
aspect doit être effrayant, car les passants s’écartent spontanément à mon
passage. Mon
ami comprend ce qui se passe, il court après moi dans la rue et essaie de me
persuader de renoncer à mon projet. Il insiste à ce que je prenne un café chez
lui. Je regarde cet ami loyal qui se bat pour moi contre les enfers, contre une
tragédie, je comprends combien sa vie intérieure est riche et toute donnée au
bien. Mais même pour lui, je ne ressens plus rien. Je me regarde l’observer. Je
comprends son affection pour moi et les miens, je ne la reçois plus. Je ne suis
plus là ! Je le quitte, lui ayant promis de renoncer à ma décision. Mais, je dois
retourner au commissariat pour remettre un document
à l’inspecteur. Durant le chemin la douleur
désespérante me submerge, je redeviens un monolithe, ma décision de le tuer
s’impose, je l’accepte comme une évidence. Au planton, qui recueille mon document,
je lui dis : «Je pars faire justice» On me laisse repartir. Je remonte l’avenue
grande Bretagne et la très sinistre route de Prades qui la prolonge. J’avance
comme un robot, mon aspect doit être inquiétant, les passants s’écartent à mon
passage. J’avance vers mon acte. Je suis droit, aussi raide qu’une barre
d’acier. Je me regarde marcher, aussi déterminé qu’un char d’assaut lancé
contre l’ennemi. J’arrive devant chez lui, la façade de sa maison est repeinte
en jaune canari. C’est un ancien mas, affublée d’une porte cochère, un terrain
vague sur lequel s’amoncellent des détritus lui fait face. Ce lieu m’apparaît
sordide, désolé comme ces vieux cartiers d’usine abandonnée. Je sonne à la
petite porte, je me mets en position de le frapper, il me répond du balcon. Je
lui commande de descendre : « Je viens te tuer ! » Il me répond : « D’accord
! » Il vient à moi par la porte cochère, je lui saute dessus. Je lui ai passé
une bonne raclée, mais ce qui m’empêcha de le tuer, c’est qu’il ne se défendit
pas. Il se mit en position foetale et me cria de le frapper, de le frapper
encore, pourvu que je retire ma plainte. Il m’accusa d’avoir consenti à ses
jeux avec mon fils et renouvela ses accusations contre lui. j’ai
redoublé de violence. Je prends conscience que j’ai devant moi tout, sauf un
homme. Ce n’est qu’une masse d’immondices agitées, ce n’est rienJe
découvre l’infra humain ! On ne tue pas ce qui n’est pas. On ne se bat pas
contre un menteur, car le mensonge efface le nom de son auteur. Un homme sans
nom n’existe pas, il n’a plus de visage ! On ne se bat pas contre rien ! Je
l’ai injurié. Le laissant au sol, je m’éloignais, il me poursuivit en me
suppliant de retirer ma plainte : «Si tu ne le fais pas, c’est que tu n’es pas
un vrai chrétien ! » Je m’en retourne, pleurant, détruit. Un homme peut-il
tomber si bas, renier sa dignité ? Au coeur de cette obscurité surgit un
souvenir : à l’âge de six ans, je fus surpris par la maîtresse en train de
ficher une raclée à un camarade de mon âge et, dés le lendemain, je fus envoyé
chez les grands. Depuis ce jour, je ne m’étais plus battu. Je suis mon propre
étranger. Je vois apparaître un autre que j’avais cru mort depuis très
longtemps. Ma nature humaine revient à son point initial, mon humanité reprend
peut être sa place. Je suis de retour chez moi, la maison est vide, mon fils m’a
laissé un mot : (Ne t’inquiète pas papa » Dès qu’il
prit connaissance du mien, il alarma des amis pour l’aider à m’empêcher de
commettre l’irréparable. Il alerta les forces de police. Il revint accompagné
d’un agent et de François. Plus de paix, plus de joie ! La douleur est
lancinante, installée, je ne peux rien contre elle.
Mon être est tout
endolori. Je suis vieux, inutile, abandonné. Je n’ose plus regarder les piétons
que je croise. Je ressens toujours cette culpabilité envers mon fils, ma femme,
et tous ceux qui m’ont fait confianceJe ne prie plus
! Le sourire m’est offensant. Rien ne me détourne de cette souffrance. Et je ne
suis pas arrivé à tuer ce monstre ! Dans l’après midi, la tentation de le tuer
me reprend, mais sa nature est différente. Elle ne vient plus de ma colère, ni
du désir subit, immédiat de justice. Elle vient couvrir ma détresse, elle n’en
émane pas. Cette tentation n’est pas un sentiment, c’est quelqu’un. C’est un
être. De lui émane une proposition gourmande qu’accompagne une impression de
solitude glacée, extérieure, comme un cercle isolant. Il est assis sur ma
souffrance, il essaye de me la voler pour activer l’aspiration désolante d’un
désespoir que l’on consomme sans fin, qui vous consume à jamais. Sa présence
est manifeste, à ma gauche, dans l’angle le plus obscure du salon, l’entre
supposé de notre vie intellectuelle. Son regard est une lame d’acier, ironique.
Son intention est de me détruire, si j’y souscris, et je pourrais le faire, je
sais que ma réponse viendrait de ce qu’il y a de plus mauvais en moi et me
séparerait à jamais de toute espérance de salut, car l’acte posé serait de la
qualité de ceux qui ne se puissent pardonner, l’acte contre l’esprit. Je suis
tenté d’y répondre avec fureur. j’ose esquisser un
sourire. Je suis au seuil de l’iniquité redoutable. Dans l’instant de cette
dramatique tension, je me sens saisir le téléphone, je compose le numéro d’un
prêtre. J.ai repoussé l’intrus ! Je suis anéanti mais vainqueur. Je
ne peux expliquer cette victoire,
si ce
n’est que l’on aura beaucoup prié pour cet instant. On ne stationne pas en
enfer, on y réside par la volonté et l’on n’en revient pas. Cette lutte épuise
le reste de mes forces. Je ne suis pas au bout de ma bataille. l’idée que je puisse le rencontrer me terrorise, car je ne
suis pas encore certain de ma victoire. Il me faut espérer dans la loi
naturelle, commencer par-là. Espérer dans la justice des hommes ! (La loi
naturelle est un concept, qui procède d’un constat résultant de l’observation
objective de l’ordre de la nature : Tout vivant est ordonné à la vie, à son
prolongement, c’est à dire à la génération. Aussi, tout t’acte, qui s’oppose
directement ou indirectement à cet ordre, est considéré comme s’opposant à la
loi naturelle et à la morale qui en procède).
Un appel de
l’inspecteur, mon fils et moi sommes attendus pour une
confrontation, le mercredi suivant à 10 heures. Tout me revient à la figure !
Vais-je le revoir ? Le week-end se passa dans la recherche de la consolation.
On osait à peine parler de ce que nous vivions, on le murmurait. Nos enfants ne
cessaient de multiplier les gestes d’affection, ils essayaient de
nous consoler. Je ne parvenais plus à aller me
coucher, je craignais de fermer les yeux et de revivre les scènes des jours
précédents. Je redoutais la nuit. Pour mon fils, cette confrontation est le
retour de l’angoisse, revivre et répéter sa dépositionY
aura-t-il une fin ?
Le commissariat est
moins agité, il s’y trouve un excellent café. Je suis adossé à l’escalier qui
donne accès aux bureaux des enquêtes, si bien que je ne m’aperçois pas tout de
suite qui le descend et, c’est avec stupeur que je reconnais la silhouette de
la marraine de mon second fils. Elle vient de déposer contre nous, elle vient
défendre, contre nous, Dam. Une amitié de seize ans, vient de mourir, mais a-t-elle jamais existée ? Non seulement elle dépose
contre nous, mais orchestre une campagne de diffamation. Cette épreuve sera
étendue dans nos relations d’amitié ou simplement amicale. Le détachement est
un état intérieur qui, dans le monde, par opposition aux vocations religieuses,
procède par crise de la vie. C’est toujours difficile de l’accepter, car l’homme
subit les appétits de l’affection. Nous avons expérimenté une épuration d’une
grande intensité et la défection viendra de ceux-la mêmes que nous regardions
légitimement comme des appuis.
Enfin,
nous sommes appelés pour la confrontation. L’inspecteur de police m’appelle en
premier, seul, en dehors de la présence de Dam. Ce nouvel interrogatoire porte
sur des points que le suspect nie. Cet entretien se déroule dans une atmosphère
de grande humanité. Il y a chez cet officier de police un sévère souci de
vérité et un respect de la personne si fort, qu’il illumine l’interrogatoire et
en apaise le tragique. Sur l’invitation de l’inspecteur, je me retire et mon
fils entre seul pour être confronté à Dam. Il reviendra bouleversé par
l’enfoncement mensonger de Dam. Plus tard, pour la signature des dépositions,
l’officier me dira son étonnement devant la dignité de mon fils et sa rigueur. Louis-Charles ne dévia pas d’une virgule de sa déposition
initiale, alors qu le suspect ne cessera de se couper. Après une résistance de
24 heures, il reconnaîtra les faits et sera inculpé le 22. Lors de la seconde
confrontation, qui se déroulera dans le bureau du juge, Dam reviendra sur ses
aveux pour des raisons irrecevables. Maintenant, que la justice poursuive son
oeuvre de vérité. A la nouvelle de son inculpation nous ressentîmes un
soulagement, mais aucune joie. Il nous arrive encore de nous demander si tout
cela n’est pas un simple cauchemar.
L’inimaginable ne
s’imagine toujours pas. Il apparaît toujours un possible pour les autres et non
pas pour soi.
L’actualité nous sert un flot de faits divers, elle
expose de grandes misères humaines auxquelles nous compatissons sans que nous
puissions faire grand-chose. Nous les regardons avec effroi, tristesse,
inquiétude. Il nous arrive de nous plaindre devant une déferlante de mauvaises
nouvelles ou de nous laisser gagner par une certaine indifférence, car nous
éprouvons le besoin légitime de nous protéger. Mais, lorsque l’un de ces faits
divers nous concerne, nous touche dans notre être profond, dans notre
affection, tout bascule. Nous entrons dans une souffrance insoupçonnée que nous
pensions faite pour les autres. La réalité de la misère vient nous saisir comme
une possession exclusive, et nous nous sentons seuls au monde, supportant une
souffrance qui est un scandale, car elle s’oppose au désir de la joie, au
besoin de bonheur. Elle contrarie un projet de vie. Dans l’étalage des
actualités de la souffrance, il en est une qui demeure au sommet de tous les
scandales, c’est celle qui met en cause l’enfant, qui blesse son sourire. Mais,
il existe un degré supérieur : l’intégrité morale et physique. L’atteinte à la
pureté d’un enfant, qu’il s’agisse d’une agression ou d’une démarche poussée
par la nécessité du désespoir, est la plus inexcusable des atteintes. Elle est
pour moi, tout aussi
redoutable que la mort prématurée de l’enfant, surtout quand il s’agit de sa
chair. On déverse des immondices sur son espérance, sur la promesse d’avenir
qu’il incarne pour le bonheur de toute la société. L’enfant est une promesse d’avenir,
elle doit être préservée tant par la cellule familiale que par l’ensemble de la
société. Le rejeton est la complaisance des adultes, une source de consolation.
Lorsque cette profanation vient à la connaissance des parents, c’est d’abord
une stupeur brûlante, il s’y mêle simultanément un sentiment de peur et de
colère. La conjonction des deux facteurs fait que vous êtes submergés par une
douleur indépassable, non maîtrisable. Peu importe les réactions que nous avons
dans les minutes qui suivront, elles auront pour sens un besoin urgent de se
libérer d’une gangue, une réaction incontrôlable de survie. Nous sommes
atteints alors par l’inimaginable, cet inimaginable qui vous crucifieLes
mots sont ici d’une terrible pauvreté. Subitement, nous perdons le regard que
nous posions sur notre enfant. On nous l’a volé ! Un écran sale nous l’occulte,
c’est notre drap mortuaire prématurément posé sur l’immédiateté de notre vie.
A ce moment là, ma
paternité me fut enlevée, le pédophile me l’a dérobée. Cette expérience se
transforma progressivement en une prise de conscience de la pauvreté de la
paternité. J’expérimentais son impuissance, ses limites. Plus tard, je compris
qu’il y avait un au-delà à cette souffrance, que derrière cette pauvreté
imprévue, mais bien réelle, se dissimulait le levier probable d’une paternité
accomplie. L’accomplissement d’un état de vie est la suite logique d’une désappropriation consentie ou
imposée, d’un détachement à l’intérieur de lui. Je peux peut être oser dire
maintenant, que l’accomplissement de la paternité de Dieu le Père se réalisa
quand Jésus, sur la Croix, se demanda pourquoi son Père l’avait abandonné. La
pauvreté consentie d’un père à l’injustice du monde pour la justification de
l’hommeIl
n’en demeure pas moins, qu’une désolation inimaginable s’abattit sur ma femme
et moi et contre laquelle, encore maintenant, je ne peux pas toujours lutter.
Si elle n’a pu m’emporter et, elle ne m’emportera pas, c’est grâce à
l’affection de mon foyer et à la communion des saints. Je suis entré dans le
mystère vivant de la Croix, c’est une souffrance qui demeurera. Elle sera la
cause d’une force vive face à toute adversité. C’est peut être dans cette
direction qu’il faut chercher les raisons pour lesquelles l’homme soit le seul
vivant à sourire dans l’univers. N’est il
pas le seul à pouvoir et à devoir développer une intelligence de la souffrance
? Une intelligence de la vie ? Le drame découvert, ma femme et moi nous nous
demandâmes ce que nous n’avions pas compris, ce que nous n’avions pas vu et
entendu et surtout, pourquoi la lumière sur ces faits ne nous fut pas donnée ?
Ou pire, elle nous fut peut être donnée, mais nous n’avons pas su la voir ! Je
me suis dit d’abord, que nous avions loupé l’éducation de nos enfants, que
j’avais trop compté sur mes forces et pas assez sur la grâce de Dieu. Dans de
telles circonstances, on ne peut s’empêcher de développer un sentiment de culpabilité
qui s’accompagne de cette lancinante question : « Où me suis-je trompé ? »
Il n’y a pas de réponse immédiate et, si elle existe,
elle est ailleurs que dans la culpabilité. Vous ne pouvez être coupable d’avoir
fait confiance. Vous ne pouvez être coupable de ne pas avoir conçu
l’inimaginable, l’inimaginable ne se conçoit pas d’avance. On ne peut que le
subir. Pour voir clair sur sa propre culpabilité, qui n’est pas assimilable à
la responsabilité, il faut laisser à Dieu sa part et au temps la sienne. Il
faut se laisser brûler par cette interrogation qui contribue au dépouillement
de soi. La souffrance est une expérience intérieure, une œuvre de conversion.
Très vite, une autre interrogation vint à se profiler sur la précédente, plus
douloureuse, parce qu’elle a en elle un principe corrosif. Cette interrogation
me fut d’autant plus cruelle, qu’elle se nourrissait de l’infâme accusation de
Dam, laissant entendre que notre fils était consentant, qu’il lui aurait fait
des avances. Notre enfant nous avait-il dit la vérité ? La réponse, pour nous,
ne se trouvait pas tant chez lui qu’en nous. Ce doute fut rapidement évacué.
Mais malgré la fugacité de son apparition, cela me sembla une éternité.
Il est certain que Louis-Charles n’avait pas menti. Une troisième
interrogation se formule, sa réponse est la plus délicate, car elle pose la
question de la confiance, de la relation entre parents et enfants : « Pourquoi
ne nous a-t-il pas parlé plus tôt ? » Cette interrogation va effacer les deux
premières, car elle les résume et, comme son principe psychologique sous-entend
l’autorité, elle est accusatrice. Elle est accusatrice, car ceux qui la
prononcent sont sur la défensive, la formuler, c’est se renvoyer à son
impuissance, à ses limites, à sa pauvreté. C’est la seule question qu’il faut
se poser à soi même et ne jamais poser à l’enfant, il se sentirait accusé,
responsable, ce qu’il n’est pas. La lui poser,
c’est enfoncer sa psychologie,
alors qu’il a un urgent besoin de se libérer, de se retrouver dans le regard de
ses parents ou de toute autre autorité légitime. La réponse, nous la trouvâmes
en nous-mêmes, mais également grâce au travail de la justice qui fait œuvre de
vérité. Je dois à nouveau rendre hommage à l’officier de police qui sut établir un climat de confiance et témoigna d’une rare
qualité humaine, ainsi que les quelques amis qui nous restèrent fidèles, ils
donnèrent beaucoup de leur temps à nous écouter. Il est certain que nos
interrogations et notre volonté d’y répondre nous aidèrent à pacifier notre
colère et notre souffrance aveuglante. La plupart des pervers agissent de
l’intérieur d’un cercle, dans lequel ils se sentent en sécurité, duquel ils se
forgent une raison d’impunité. Dam est un vrai pervers. Dans notre cas et dans
la majorité des cas qui ne relèvent pas de la psychiatrie, la profession, les
activités caritatives, ses qualités humaines de générosité lui conféraient une aura de confiance absolue, un absolu
renforcé par notre relation amicale. On ne peut tout à la fois avoir confiance
et se méfier, surtout que le pervers, dans toutes ses apparences, vous rend
votre confiance, y répond d’autant qu’il semble partager avec vous les mêmes
valeurs morales, spirituelles et culturelles. Il est impossible de le démasquer
avant qu’il soit trop tard. Le pervers, quel que soit son mode et son sujet
d’action, se dissimule au coeur même de vos meilleurs sentiments, de vos
intentions droites. Il vous piège dans la confiance que ces valeurs induisent,
dans la charité qui meut votre bienveillance. Le pervers est un calculateur, il
construit son piège. Il structure un plan de séduction, contrairement au malade
qui agit dans l’immédiateté de l’impulsion, qui est soumis à un
appétit insurmontable se concluant trop souvent par la mort de la victime. Le
pervers est motivé par le besoin de détruire en l’enfant tout ce qu’il ne peut
plus être et qu’il a un jour voulu cesser d’être. Tous les pédophiles
établissent avec leur victime une relation de séduction, d’autorité, de
domination. Son principe d’autorité lui vient de son âge, de sa profession et
aussi de la qualité des relations qu’il a pu établir avec les parents. Tous ces
leviers possibles lui servent à obtenir le consentement de sa victime à seule
fin de trouver un justificatif aux actes qu’il veut poser. Sa victime devient
sa complice. Elle développe un sentiment de culpabilité et n’ose plus parler de
peur d’être rejetée de ceux qui devraient la sauver. Dam s’efforça d’obtenir le
consentement de notre enfant, lors d’un séjour en montagne, il tenta de le dénuder.
Il essaya, par ses paroles et ses gestes, d’obtenir son consentement. C’est un
vrai pervers, tranquille, structuré. Il détruisit ses propres barrières morales
par une pratique constante du mensonge. Il dissimula son état derrière une
religiosité outrée, d’un piétisme exalté et enfantin, que nous mettions sur le
compte de son échec matrimonial. Tous ces petits travers, nous les excusions,
ne faisait-il pas parti de notre environnement affectif, de notre cercle de
confiance ?
C’est avec les mêmes
armes, qu’il convainquit la plupart de nos relations d’être victime d’un
complot. Le pervers sexuel ou autre procède toujours de la même manière, il
isole sa proie. Il installe un cercle qui l’éloigne des parents. Il insinuera
que les parents sont trop sévères et, sous le mode de la plaisanterie, il
insistera sur certains travers de caractère. Le
pervers se construit un univers. Dans le cas de viol, souvent suivi
d’assassinat, le coupable est un malade mental, il ne peut maîtriser ses
pulsions, même s’il a conscience de son acte, il n’y peut rien. Il doit être
isolé et soigné. On ne devrait pas le laisser en liberté. C’est une disposition
qui est en dehors de tout bon sens, car nous n’avons aucun moyen clinique de le
guérir. Dans le cas de Dam ou de ceux qui paient pour jouir de jeunes enfants,
ils sont de vrais pervers. Ils ne subissent pas initialement une pulsion
irrépressible. Leur comportement est le résultat d’une lente et structurelle
détérioration de leur vie morale, sans doute par une pratique jamais combattue
du mensonge. (Dans l’éducation que nous donnons à nos enfants, nous ne devons
pas tolérer le mensonge, si ce vice n’est pas combattu dés la petite enfance,
il contribue, pour une grande part, à l’altération de la personnalité et ouvre
les portes à tous les autres vices, l’orgueil étant le pire d’entre eux). Ces
pervers se reconstituent une conscience maligne, dans laquelle ils
s’illusionnent, ils y trouvent en elle l’assurance de leur impunité. Cette
déstructuration intérieure déclenchera à long terme une maladie mentale qui
peut les soumettre à des pulsions irrépressibles, mais elle n’est certainement
pas la cause initiale de leur perversion. On comprend bien pourquoi aucune
société ne peut se désengager de ses responsabilités envers les parents afin que
ceux-ci ne soient pas contrariés dans leur mission d’éducateur. On ne peut
justifier le mal. La
viabilité d’une société dépend de son attention à respecter fidèlement la loi
naturelle et la morale qui en découle. Cette base de données permet de comprendre
pourquoi la victime a tant de mal de se confier. Nous parents, nous ne devons
pas nous offusquer du silence de nos enfants dans ces cas là, ni de leur
préférence à se confier à une tierce personne. Nous n’avons pas le droit de
fracturer les portes de ce silence, nous sommes au seuil du mystère de l’être
de la personne. On ne peut le sonder que sur invitation. Ce seuil mystérieux
existe en tout être et sa prise de conscience chez nos enfants nous dévoile nos
propres limites dans notre mission d’éducateur. C’est la réalité de notre
paternité. Faire l’expérience de l’incommunicabilité, dans le cercle le plus
étroit de nos affections, est très douloureux, il faut
pourtant l’accepter et répondre à cette douleur par notre amour. C’est tout ce
qui nous reste en présence du sentiment d’être dépouillé de notre paternité. L’enfant
est une personne dès sa conception, il doit immédiatement recevoir tout l’amour
nécessaire à sa formation et à son accueil. L’embryon est une personne. Jamais,
comme auparavant, nous devons veiller à donner une éducation morale à nos
enfants et se soucier, quoiqu’il puisse nous en coûter, de forger leur
caractère. Il ne faut pas redouter d’être sévère, de prendre le risque de ne
plus être compris. Un enfant, s’il est aimé, sait au fond de lui, que cette
sévérité est toujours de l’amour. Je crois, que nos efforts pour les éduquer
dans ce sens, ont contribué, avec l’aide de Dieu, à le préserver de Dam.
Il n’est pas facile de découvrir le drame que vit
votre enfant, beaucoup de signes se confondent, selon l’âge, aux étapes de sa
formation et, nous savons bien, que l’adolescence est la pire. Dans un milieu
familial uni, équilibré par l’amour et le respect des êtres, l’enfant va se
développer dans un univers où il trouvera facilement ses repères qui différent
d’un enfant à l’autre. Nous parents, nous allons les enregistrer, certains
consciemment, d’autres inconsciemment et, ce sont peut-être ceux-là les plus
importants. Si donc l’enfant subit une perturbation anormale, nous la
ressentirons, même si nous ne la comprenons pas, c’est ce qui va nous alerter.
Dans le contexte de décadence actuelle, nous devons tout faire pour en
découvrir la cause. L’enfant peut se désintéresser subitement de sujets qui le
captivaient ou bien encore ceux-ci peuvent prendre une place si importante
qu’il néglige tout le reste, y compris sa vie de famille. Il s’éloignera de l’affection
de ses proches et sera agressif, violent, surtout avec ses frères et soeurs,
ainsi qu’avec ses meilleurs amis. s’il est d’une
nature introvertie, il s’enfermera dans un mutisme et cherchera l’isolement
pratique, il aura de courtes périodes d’exubérance. Il pourra dire des blagues
grossières, mais ne supportera pas que d’autres en disent en sa présence. Il
aura de brusques moments de peur, il perdra de l’appétit, il fera des crises de
gloutonneries. Il cherchera la compagnie d’un ami qu’il verra souvent, plutôt
quelqu’un qui aura sensiblement les mêmes défauts et qui deviendra le prétexte
de certaines fugues ou la justification de ses refus de sortir en famille. Il
sera jaloux des amitiés parentales, manifestera son besoin de rester en
famille. Il n’existe pas de signes définis pour comprendre ce qui se passe,
beaucoup de choses vont dépendre
de la
qualité de la vie affective, morale et spirituelle du milieu familial.
Si la victime se sent
aimée pour elle-même, elle finira par parler, mais ce ne sera pas forcément
clair. Notre société est si éloignée de la loi naturelle et de la morale qui en
découle que, nous devons tout faire pour facilité les confidences de nos
enfants, en prenant le risque qu’ils nous manquent parfois de respect. Il faut
l’accepter, c’est le prix à payer pour leur propre protection. On est alors
surpris de leur don d’observation. Ils vous feront des confidences sur le comportement
de leurs camarades et vos cheveux se dresseront, quant à leurs professeurs,
ceux qui interprètent un rôle, ils ne leurs font aucun cadeau, ils sentent très
bien ceux qui aiment leur métier. Il n’a jamais été facile d’élever des
enfants, notre société ne favorise pas les parents, bien au contraire, il nous
faut trop souvent faire preuve d’héroïsme. On peut comprendre que des parents aient la faiblesse de se laisser aller au découragement,
surtout les générations issues des troubles de 68, la plupart d’entre eux se
sont engagés dans la vie sans aucun repère, sans recherche réfléchie d’une
qualité de vie autre que le support matériel. Cette épreuve me révéla la
profondeur de la paternité, l’impératif de l’humilité face à une promesse d’avenir
dont on n’a qu’une certitude : celle de ne rien savoir d’elle. C’est un pari,
un acte de foi. La construction d’un enfant n’est qu’un tâtonnement d’amour,
l’un des pires clairs obscurs de la vie. Personne n’est préparé à affronter
cette souffrance et c’est pour y aider que je fais ce témoignage.
Lorsque nous prenons la mesure de ce qui se passe pour
un enfant victime d’un pédophile, après les moments d’abattements, c’est une
lutte contre les ténèbres qu’il nous faut entreprendre. Elle commence par notre
témoignage d’amour, d’affection envers lui. c’est une
période essentielle pour tous, il n’y faut admettre aucune personne étrangère
au cercle immédiat des affections. c’est d’elle, que
dépendra la guérison, que dépendra la longueur des périodes dépressives inévitables.
On nous proposa une thérapie pour Louis-Charles, mais
étant donné son âge, nous ne pouvions l’envisager que s’il y consentait, ce
qu’il refusa. Il ne voulait plus en entendre parler. Il estimait que, d’avoir
du en reparler pour les exigences de l’enquête et de l’instruction judiciaire,
suffisait. Il était hors de question de le contraindre. Maintenant, de loin en
loin, il en parle et, c’est souvent sur le mode ironique. Mais je crois que la
meilleure des thérapies se trouve dans le milieu familial aimant et la
proximité de Dieu. Pour nous parents la solution est plus complexe, j’ai opté
pour en parler, d’abord pour mettre en garde et pour lutter contre la campagne
de diffamation que Dam avait orchestrée avec notre ancienne amie. Nous avons
puisé notre réconfort au coeur de notre sacrement du mariage. Nous avons
utilisé toutes les lois naturelles et spirituelles pour y parvenir. Dans notre
vie de couple, un chemin de conversion s’amorce, une intériorisation renouvelée
de notre vie matrimoniale. Mais entre le moment de la révélation des faits et Aujourd’hui,
il se sera écoulé un an. Cette période aura été celle de toutes les épreuves,
de tous les dangers, surtout pour moi qui connut un même type d’agression dans
mon adolescence et, dans des conditions familiales bien moins favorables.
Dans ces douze mois de ténèbres rien ne me fut
épargné, ni les lâchetés, ni les hostilités, ni les dérobades d’appuis
légitimes sur lesquels je pensais pouvoir compter, ni les périodes
d’inintelligence de la vie et le terrible sentiment d’abandon humain et
spirituel. Une double déréliction qui faillit m’emporter. Dans le couple, face
à ce genre d’épreuve, il ne faut rien refuser à l’amour, à l’amour conjugal,
c’est la meilleure résistance contre ce mal. c’est une
exigence de survie pour vos enfants qui doivent pouvoir se rassurer dans
l’amour que vous vous portez mutuellement. Ne laissez jamais le sentiment de
culpabilité s’installer dans votre couple. Il faut tenir fermement, jusqu’au
dernier quart d’heure, car vous aurez à affronter les effets collatéraux.
Tout ce qui se rapporte à la pudeur, à la morale
sexuelle crée un malaise chez toute personne normalement constituée. La raison
vient de ce que tous les problèmes, qui en découlent, touchent et concernent le
mystère de vie, de la génération. Et, n’en déplaise aux amoralistes, aux
libertins, aux « soixante-huitards » de tous poils, il demeure un sens sacré de
la vie, une approche sacrale de l’acte de génération. Elle est constitutive de
la personne humaine. Aujourd’hui, nous payons très cher le rejet des interdits
de la loi naturelle et, sauf intervention divine, nous n’avons pas fini d’en
supporter les contrecoups. Dans notre société nous parlons beaucoup des
problèmes d’agressions sexuelles et autres formes de perversité, mais pour les
personnes qui ne sont pas impliquées directement dans ces formes de
souffrances, ce mal humain est instinctivement rejeté, car effroyablement
dérangeant. (Les médiats en parlent trop et très mal, souvent sans pudeur ni
respect pour les victimes et les familles des criminels. La seule émission,
attentive au respect de la personne qui en a débattu de façon consistante,
s’est déroulée aujourd’hui, ce 14 janvier 2002, sur la station de radio Europe
1.
Dans notre entourage,
nous avons été confrontés à une attitude générale, celle d’un malaise non
dissimulé, exprimé avec plus ou moins de retenue et les marques de
compréhension et de compassion furent rares. Je ne doute pas que la plupart
d’entre ces personnes condamnaient Dam, mais elles ne pouvaient s’empêcher
d’exprimer une certaine réprobation du fait que nous en parlions, persuadées
que nous étions, quelque part, également coupables, ne serait-ce que par
imprudence. C’est une attitude compréhensible mais douloureuse, elle marque
bien les limites de l’intelligence du sujet. Elle souligne le poids très
pervers et toujours pesant de l’inintelligence du corps. c’est le résultat
désastreux du moralisme issu du puritanisme protestant, de cette praxis qui
consiste en une manipulation idéologique de la morale à seul fin de se rassurer
et de compenser les insuffisances spirituelles des différents schismes de la
très néfaste Réforme. Le problème dans l’Eglise Catholique Romaine, surtout en
l’Eglise de France, est que la hiérarchie, comme les élites intellectuelles,
n’ont pas vu venir cette séduisante corruption de l’espérance. Ils l’ont même
incluse dans leur pastorale, espérant de cette façon, combattre les courants
matérialistes qui promouvaient la libération morale de l’homme. Nous avons vu
où cela nous a menés. La morale n’est pas une fin en soit. Elle est nécessaire
à tout homme comme le sont les béquilles pour qui s’est cassée la jambe. Elle
est dépassée par la charité qui est au-dessus de tout ce qui fait l’homme. L’ordinaire
de la vie est un mélange de médiocrité et de peur irrationnelle. Jusqu’au
procès, qui vous établira
dans la vérité, ce sera une longue route solitaire, douloureuse durant laquelle
vous serez sollicités dans toutes vos vertus. J’ai traversé une période très
difficile, j’ai vu la sollicitation du suicide. J’ai eu l’impression
d’atteindre un point de non-retour, je me trompais. Nous avons d’étonnantes
ressources intérieures et pour résister à cette invitation, je me suis appuyé
sur le sourire de ceux qui m’aiment.
Les
effets collatéraux ont commencé avec la réaction de l’aumônier scout qui
s’étonnait que l’affaire ne fut point réglée. Quelques
mois après, mon fils quitta les routiers, car au cours d’un repas il subit une
mis en boîte si humiliante qu’à l’évidence on le poussait dehors. Il ne
semblait pas convenable pour certains membres de ce milieu très bourgeois
d’avoir en son sein un élément impliqué dans une affaire de pédophilie. Ces
évènements eurent lieu en pleine instruction judiciaire au moment où Louis-Charles avait le plus besoin de soutien. Plusieurs de
ses camarades scolaires s’éloignèrent de lui. Mon fils fut donc scolarisé au
lycée Notre Dame de Bon Secours. Dans les premiers moments de l’instruction
judiciaire, je donnais les assurances que nous veillerions à ce que cet
établissement soit protégé de cette affaire, puisque celle-ci fut élaborée en
dehors de ses murs. En fin d’année scolaire, nous reçûmes le dossier nous
invitant à changer l’orientation de notre enfant ou à envisager un
redoublement. Je constatais, que durant les mois qui suivirent le dépôt de
plainte et sa dépression, aucune assistance ne lui fut proposée. On le laissa à
lui-même, sans qu’on lui porta la moindre attention,
malgré les services pédagogiques dont jouit l’établissement. Lors donc de la
confirmation de son redoublement, j’écrivis un mot à son professeur principal
pour lui faire-part de ma déception. La rentrée 2001-2002 devait nous plonger
dans une nouvelle souffrance. A la fin du mois de septembre de cette année
scolaire, il y eut un premier incident, son professeur de lettres s’en prit à Louis-Charles sans aucune raison, au sujet de fautes
d’orthographe et son intervention fut excessivement humiliante. Mon fils essaya
de s’expliquer, rien n’y fit et, sa demande d’explication fut prise pour un
manque de respect. Il fut collé. Quelques jours après, le professeur reconnu
s’être trompé sur la qualité de son devoir, qui fut le mieux noté de sa classe,
mais l’enseignant continua à maintenir qu’il lui avait manqué de respect. Sa
colle ayant été doublée d’un devoir sur le respect, je lui donnais tous les
éléments pour le réussir.
Je n’ai jamais cru que
mon fils pouvait manquer de respect à un enseignant, ce n’est pas son genre et
ne correspond pas à l’éducation qu’il reçoit. Quelques jours plus tard, sa
relation avec un professeur de sport subit un changement net, sans raison, puis
vint l’incident avec un jeune professeur remplaçant. Mon fils fut surpris
entrain de répondre à la demande d’un nouvel élève au sujet de l’organisation
de la matière du cours. Le professeur lui fonça dessus, pour lui dire : «Qu’il
devait la fermer, s’il ne voulait pas aggraver son cas. Que l’ensemble du corps
enseignant lui était très hostile. » De nouveau sa tentative de justification
fut prise pour un manque de respect. Le lendemain, je le gardais à la maison
pour une grippe et lorsqu’il reprit ses cours, le même professeur lui dit, en
aparté, «tu n’es pas un élève
fait
pour l’enseignement catholique» j’ai alors essayé de rencontrer le directeur,
ce qui ne me fut jamais accordé. Afin de prouver tout ceci, j’insère toute la
correspondance qui concerne cette situation de crise. Si je me suis décidé à le
faire, c’est en raison de la réponse du Surveillant Général à la question des
camarades de mon fils qui voulaient comprendre pourquoi Louis-Charles
avait quitté l’établissement. Il leur répondit : « Il a été viré !.. » En
langage scolaire, cela revient à dire que mon fils avait commis une faute si
lourde, qu’on l’a mis à la porte, sans même passer par le conseil de discipline.
Il aurait pourtant suffit de dire que son départ était lié à une mésentente
entre l’établissement et ses parents. Mais non, il fallait faire tomber sur lui
l’odieux, préserver la réputation de l’établissement au dépend de la plus
élémentaire charité. Il paraît que cet établissement est de confession
catholique. La deuxième motivation de cette publication vient de ce que, depuis
longtemps un malaise règne et corromps ce diocèse sans qu’on puisse y remédier.
Il semble condamné à la médiocrité, ainsi qu’à la désertification de la
charité. J’ai multiplié les tentatives avec d’autres pour aider à son
redressement, en vain. Que faire, quand un évêque se contente d’être évêque et
n’assume pas son rôle de pasteur ? C’est difficile d’être pasteur et de ne
vouloir déplaire à personne, être populaire et avoir les bonnes grâces d’un
pouvoir local largement insignifiant et corrompu. L’Eglise
n’appartient à personne. Elle ne saurait être la propriété de personne,
religieux ou laïc. Elle est offerte à tout homme. N’est-elle pas l’épouse du
Christ Jésus ? On ne peut donc continuer de taire les maux qui la font souffrir
et empêchent sa mission. La conclusion de cette affaire fut, que je retirai mon
fils de ce lycée pour lui permettre de poursuivre une scolarité paisible. Il
est maintenant lycéen dans un établissement public.
Perpignan le, 18 octobre
2001
A Monsieur DUROUCHOUX
Directeur du lycée Notre
Dame de Bon Secours
39 av. Julien Panchot
PERPIGNAN 66 028
Monsieur,
Dans l’impossibilité de vous joindre par téléphone
afin d’obtenir un rendez-vous et ce, malgré mes cinq appels mardi 16 et un
appel mercredi 17, malgré l’assurance de votre secrétaire et de votre
standardiste que vous me rappelleriez. Aussi, ai-je recours au mode épistolaire
pour vous joindre et vous faire-part de mes préoccupations concernant mon fils Louis-Charles en classe de seconde 11.
Je comprends que vous ayez quelques hésitations à
me rappeler, après la manière que vous employâtes pour m’écarter de la
pastorale et au vu de la façon dont mon fils fut traité
durant sa première année de seconde. Lundi, durant le cours d’histoire, mon
fils fut repris par monsieur X, remplaçant de monsieur R. Je ne
serai
jamais intervenu pour une simple retenue, même si celle-ci est injuste ; puisque
mon fils ne bavardait pas, il répondait à une demande de renseignements qu’un
camarade lui adressait au sujet du cours. Par ailleurs, je sais qu’il n’a pas
été insolent mais qu’il a essayé de se justifier, ce qui lui fut refusé. Si
j’interviens, c’est en raison des paroles que lui adressa, avec véhémence, ce
professeur : « ne l’ouvre pas trop, tu aggraveras ton cas !!! » Puis il
continua en lui laissant entendre que le corps professoral lui était résolument
hostile, opposé. Monsieur, pour mémoire, je vous rappelle que Louis-Charles devait subir pendant trois ans les
incitations pédophiles de Mr. Dam, professeur chez vous. Et que, l’établissement
a laissé cet homme enseigner pendant plus de vingt ans, alors qu’il connaissait
son déséquilibre et sa perversité. Durant l’année scolaire dernière, après que
vous fussiez assuré que rien ne viendrait troubler la réputation de Bon
Secours, vous vous êtes désintéressé de mon fils. En effet, rien ne fut fait
pour le soutenir dans sa scolarité, aucune main ne lui fut tendue, qu’il s’agisse
du corps enseignant ou de vos services pédagogiques. Vous saviez pourtant
qu’une victime de ce type d’agression ne pouvait d’elle-même faire certaines
démarches, qu’il faut aller au devant d’elle. Rien ne fut fait. Certes, je suis
sans illusion sur l’humanité de ce diocèse, mais je dois reconnaître que ce
manque de la plus simple des compassions et de la plus évidente des charités m’aura
délivré des radicelles qui pouvaient rester de mes illusions. Je sais, que
votre établissement a espéré le départ de mon fils et il n’est pas impossible
que certains souhaitent encore son départ, pour
se rassurer d’une tache dont il n’est pas responsable. Si d’aventure, je devais
par contrainte, retirer mon fils de Bon Secours, croyez que ce qui me reste de
bienveillance envers cet établissement et ce diocèse tomberait. Voici donc les
questions aux quelles je veux des réponses : Dans quelle mesure mon fils est-il
un cas ? Qu’y a-t-il de fondé dans les assertions de monsieur X. ? Avez-vous
l’intention de protéger mon fils ?
Vous paraît-il normal qu’un enseignant insulte sa
classe et puisse exiger tout à la fois du respect ? «Bons à rien ! Tas de
fainéants !»
Je ne demande aucun traitement de faveur, mais je n’accepterai pas qu’il soit
persécuté, alors qu’il reprend confiance en lui et qu’il se remet au travail.
Etant donné le contexte trouble qui entoure la sanction de monsieur X. contre
mon fils, j’exige que celle-ci soit annulée. Soyez certain qu’il ne s’y
présentera pas pour l’accomplir.
Monsieur, je ne doute pas que vous ayez à l’esprit
qu’un établissement scolaire soit au service de l’élève, je suis donc assuré
que dans ce cas précis vous aurez à coeur de rétablir l’ordre naturel des
choses.
Bien à vous.
Réponse du Directeur
Perpignan le, 25 octobre
2001
Monsieur P SAINT POL
Monsieur,
J’ai bien reçu votre courrier du 9 octobre 2001.
Ceci m’amène à vous préciser plusieurs points en
toute sérénité : Vous voulez prendre contact avec moi : demandez-le ou laissez
un message. L’Accueil sait faire le nécessaire et surtout lorsque je suis en
réunion ou en rendez-vous. Vous aurez l’obligeance de ne pas convoquer tout le
monde pour résoudre ce qui est plus une question qu’un problème ?
Mr. X. est un jeune professeur qui ignore tout du
vécu de tous ses élèves. Vous extrapolez donc avec vivacité, sans vous informer
des dires objectifs de l’enseignant. Suite à son absence à la retenue du
mercredi 24 octobre, votre fils a rencontré Mr. G. le 25 courant et a eu une
conversation tout à fait sereine, compréhensive et courtoise. Il est évident
que la retenue donnée par m’X. devra être faite le
mercredi 7 novembre prochain et il reste que Louis-Charles
doit faire attention à son attitude.
Vous aurez l’obligeance si
cela ne vous convient pas de ne pas
analyser à mal puis de condamner. Nous avons eu volontairement, et à ma
demande, une attitude de respect vis à vis de Louis-Charles
et j’ai estimé que nous devions avoir un regard franc et sincère, que Louis-Charles devait être considéré au sein de son groupe
comme quelqu’un sans différence. Tout ceci pour l’aider, car je ne crois pas
qu’à 16 ans on supporte longtemps la compassion. On a aussi envie de vivre
comme les jeunes de son âge. Pour le reste, vos commentaires et allégations
vous appartiennent : je n’ai donc pas besoin d’y répondre. C’est ainsi que je
suis pour les élèves, que nous sommes à Bon Secours.
Recevez, Monsieur, mes salutations très cordiales.
J.M.Durouchoux
Monsieur Le Directeur
Notre Dame de Bon Secours
39 av. Julien Panchot
PERPIGNAN
Je réponds à votre lettre du 25/10/01. Je n’ai pas
mis en cause la compétence de votre personnel. Je vous ai exprimé mon
étonnement de ne pas avoir eu de réponse de votre part, après six appels
téléphoniques passés en deux jours, ce qui motiva ma lettre du 19/10/01. C’est
pour le moins une attitude cavalière. Je n’ai pas convoqué les professeurs. J’ai
exprimé le besoin de les voir en votre présence pour comprendre la situation
conflictuelle, au regard du contexte. IL me semblait que c’était la meilleure
manière de se comprendre. Vous vous êtes dérobé. L’inexpérience
de Mr. X. n’explique pas certaines de ses paroles. Il prolongea l’incident à la
reprise des cours le 23/10/01, en prononçant ces paroles : «Tu n’es pas un
élève pour l’enseignement catholique» Paroles, qui témoignent d’un contexte
particulier où à l’évidence il était décidé de pousser mon fils vers la sortie.
Il ne pouvait plus justifier sa conduite sans qu’immédiatement on lui reproche
de manquer de respect. Et, afin de satisfaire à la vanité de votre établissement,
il fit sa retenue, sachant qu’elle était injuste et dans une atmosphère
suspecte.
Je sais, Monsieur, que les lycées catholiques de
ce diocèse sont très éloignés des valeurs chrétiennes mais j’ignorais, qu’ils
en étaient à ce point appauvris pour considérer le respect dû aux élèves comme
une attitude exceptionnelle. La compassion n’est-elle pas l’une des fleurs de
la charité et du respect naturellement dû à la personne ? Vous aviez les moyens
de l’assister discrètement, et croyez que mon fils eut apprécié cette
assistance, vous ne l’avez pas fait. Vous saviez que l’épreuve qu’il traversait
ne lui permettait pas de demander de l’aide, vous l’avez laissé couler. Pour ce
qui est de mes allégations, elles n’en sont pas, ce sont des faits objectifs et
j’avais le droit de les commenter. Votre dérobade n’infirme pas mes propos. A
votre décharge, je vous crois dans une grande ignorance de la vie du diocèse. C’est
votre lettre qui me décida de retirer mon fils de votre établissement, car que
ce soit pour la forme et le fond, elle exprime un mépris certain envers les
parents et confirme que l’intérêt de l’établissement passe avant celui de
l’élève. On ne peut douter que l’approche de l’échéance du procès, contre votre
ancien professeur, ne soit la cause suggestive de ces attitudes. Il est certain
que Dieu vous a pourvu de facultés intellectuelles pour diriger ce genre
d’établissement, mais il n’en est pas moins aussi certain que vous n’avez pas
développé les qualités humaines, ni les vertus chrétiennes.
Aussi, il n’y a pas lieu de s’étonner si votre
établissement est, Aujourd’hui comme hier et comme le lycée saint Louis de
Gonzague, un instrument de scandale pour les plus faibles et les blessés. Vous
avez su, Monsieur, ajouter de la souffrance à une bien grande douleur. Je vous
pardonne et prie Dieu que pour l’avenir, sa Divine Providence en dispose
autrement dans l’intérêt de ce diocèse.
A vous.
Perpignan le, 14/ 11 / 01
A Monseigneur André FORT
Evêque de Perpignan-Elne
Monseigneur,
Je vous
adresse les documents ci-joints, ils vous informent sur les prolongements
douloureux de la plainte portée contre Mr. Dam pour actes de pédophilie sur la
personne de mon fils, Louis-Charles.
Comme vous le comprendrez, l’injustice s’étend
avec son cortège de médiocrité. Le jour où vous déciderez d’être enfin un
pasteur selon le coeur de Jésus et non un évêque hiératique, figé sur une
cathèdre en marbre alors, chacun sera à sa place, assumant sa mission selon ses
compétences conformément à l’esprit évangélique et fidèlement attaché aux
directives du Saint Siège. Derrière ses activités caritatives notre diocèse
voit chaque jour l’amour, la vérité, la loyauté, la vie de l’esprit le
déserter.
L’épreuve, que nous venons d’affronter, fait
déborder une coupe bien pleine, aussi Monseigneur, je vous informe que je
réfléchis à l’éventualité de porter plainte contre le lycée Notre Dame de Bon
Secours pour : harcèlement mental et moral sur mineur par personne exerçant
autorité en relation avec une instruction judiciaire.
Que puis-je encore espérer de votre pontificat ?
Et pourtant, lors de votre élévation, les grâces ne vous ont pas manqué.
Respectueusement à vous.
L’Evêque
de Perpignan
Le 15 / 11 / 01
Pierre, En laissant libre cours à votre
agressivité comme vous le faites dans la lettre que vous m’avez fait parvenir
hier vous pensez sans doute aider Louis-Charles. Je
crains beaucoup que vous n’obteniez l’effet inverse et que vos intentions le
desservent. Vous parlez et jugez de façon péremptoire. n’oubliez
pas que la mesure dont vous vous servez servira aussi pour vous.
Pastoralement vôtre.
J’ai fauté par excès de naïveté.
J’ai cru, que je
pouvais confier mon fils au lycée Bon Secours par continuité de choix
religieux, croyant qu’une victime ne saurait être un coupable. J’ai pensé que
la charité, obligation majeure des établissements catholiques, inspirerait les
responsables ! Je n’ai pas eu tors d’y croire, mais je n’aurai pas du ignorer
le poids de la misère spirituelle et morale de ce diocèse, ni l’indépassable orgueil
des responsables laïcs, véritable fléau. (Trop de laïcs, assumant une
responsabilité, une mission d’église, nourrissent une volonté de puissance. Ils
considèrent que le service qu’ils effectuent, soit bénévolement ou rémunéré, est
une promotion sociale, une mise en lumière de leur personne. C’est une attitude
qui se renforce proportionnellement selon leur vie intellectuelle et leur
formation doctrinale très superficielle et très souvent corrompue. Ils
développent une sorte d’envie et d’amertume envers les prêtres, surtout ceux
qui s’inscrivent dans les courants « progressistes », ils désirent leur
fonction d’autorité et leur prestige social, ce profil psychologique est
évident chez les femmes. Ils les isolent du peuple et essayent de leur imposer
ou de leur opposer leur propre autorité.
Cette déviance est
d’autant plus sensible quand, comme dans ce diocèse, elle se trouve sur un
système clanique de la vie sociale, concept qui est lui-même traversé par des
courants clientélistes et politiques. C’est une vie sociale qui subit divers
univers d’enfermement. Mais dans ce milieu, demeure une déviance dès plus
affligeante depuis le concile Vatican II, activée dès les années vingt. Il
s’agit, actuellement, de ces laïcs engagés dans des partis politiques comme
l’ancien P.S.U, parfois au P.C.F.
ou rattaché à la CFDT. Ils sont des laïcs qui assument des responsabilités et
qui, par le truchement des aumôneries, se sont efforcés d’inféoder le message
évangélique aux praxis carcérales des idéologies. On les surnommait les « faux
curés. » Quelles que soient leurs qualités humaines, ce sont des prédateurs de
l’espérance, des faux monnayeurs de la charité. Ils continuent de sévir. Ils
ont constitué des réseaux qui leur permettent d’empêcher tout laïc, qui n’est
pas de leur bord, d’assumer une mission, de crainte de se voir combattus de
l’intérieur. Ce sont des despotes, ils font écran à la douce lumière de
l’Evangile et de l’Eglise). Il est coutumier de dire que le saint réfléchit la
Gloire de Dieu, qu’il en souligne son passage sur la terre, on doit ajouter que
de nos jours l’Eglise locale renvoie exactement l’image du peuple qu’elle sertCette
situation est révélatrice d’une pastorale soumise à l’esprit du monde et
servile vis à vis du personnel politique et administratif. L’attitude de la
direction du lycée Notre Dame de Bon Secours est une affaire de peu de chose en
elle-même, mais ce qui la rend sensible, c’est qu’elle est amenée par un
établissement d’éducation religieuse et par un personnel qui est sensé non
seulement d’enseigner mais de former par l’exemple, les esprits aux valeurs
chrétiennes. J’ai longtemps hésité à la révéler, mais dans l’enseignement
catholique de ce diocèse, règne un mal-être profond, qu’il est impossible de
corriger par un mode plus discret et ce n’est pas faute d’avoir essayé. En
dehors du malaise, que l’on ressent en face du délit de pédophilie, qui vient
de la crainte instinctive d’être exposé à la condition humaine dans ce qu’elle
a de plus blessée, il y a dans les établissements scolaires catholiques, dirigés
par des laïcs, une sorte de corrosion souterraine. Elle procède d’une volonté
délibérée d’appliquer une pédagogie élitiste au seul profit de l’établissement,
au mépris des élèves moyens ou médiocres, pour la plus grande satisfaction de
parents issus d’une classe sociale financièrement aisée, sans que celle-ci
puisse donner des garanties de vertus en général, mais surtout pas de vertus
chrétiennes en particulier. Certains établissements sont inféodés à ces classes
argentées, pas nécessairement bourgeoises au sens de la bourgeoisie du 18è.
Cette forme d’aliénation impose des situations convenues, qu’il est scandaleux
de déranger. Aussi, contre ces esprits libres, une sorte d’opposition coercitive
se dresse, qu’il est impossible de forcer. Cette orientation délibérée se fait
aux dépends des valeurs religieuses et de la vocation de ces établissements.
Certains d’entre eux n’hésitent pas, à seul fin de maintenir leur réputation et
le pourcentage de réussite, de faire partir les élèves faibles dés le début du
troisième trimestre, ce qui les obligent à s’inscrire aux examens en qualité de
candidats libres. Dans tous les établissements privés sont organisés des mouvements
de bienfaisance, ce sont des oeuvres de charité, ce qui permet de développer la
générosité et sensibiliser ces nouvelles générations à misère matérielle. La
démarche charitable s’arrête là et, j’aurai tendance à dire, d’après ce que
j’ai vu en ma qualité de parent d’élève délégué, qu’elle est une sorte de
cache-misère morale, un trompe-l’œil, pour masquer une absence de charité
beaucoup plus profonde et radicale. (En ma qualité de parent délégué, j’ai pu
assister, impuissant, à un abandon délibéré d’élève qui posait de graves
difficultés de comportement, suite à une situation familiale dure. Malgré mes
demandes, rien ne fut fait pour l’aider, et l’on se saisit, au cours du second
trimestre, d’un incident mineur de discipline pour s’en débarrasser). Il est
vrai que les parents d’élèves ne sont guère plus considérés que les élèves, c’est à peine si on ne nous met pas en rang, au pied de
l’escalier. Nous n’avons aucune écoute réelle. Notre rôle consiste surtout à
faire rentrer de l’argent et à servir de caution. Nous sommes muselés. Cette
déviance est due à un appauvrissement de la doctrine religieuse et de chefs
d’établissement peu soucieux de la mission évangélique, quand ils ne sont pas
hostiles ou fortement déviants. Il est incompréhensible que le chef d’établissement
soit le responsable de la pastorale, au point d’empêcher l’autorité de l’évêque
au sein même du lycée, l’aumônier n’ayant aucune possibilité de décision, ni de
choix pastoral, à moins d’être dans le courant de pensée du chef
d’établissement. Sans remettre en cause la liberté de l’enseignement, on n’est
en droit de se demander si l’institution catholique d’enseignement, a encore
une légitimité évangélique ?
l’attitude,
des responsables prêtres ou laïcs du diocèse fut une source de désillusion. L’aumônier
des scouts a de grandes qualités de générosité certes, mais après les premiers
huit jours de tempête et qu’il fut convaincu que je protégerais l’Eglise, il ne
s’est plus jamais manifesté : ni appel téléphonique, ni visite, alors qu’il
savait notre souffrance. Ce comportement est le résultat d’un raidissement de
la mission du prêtre. Il y a deux courants majeurs dans l’Eglise de France, un
libéral et très errant dans le domaine de la doctrine et un autre, qui reste
dans la mouvance traditionaliste, voir intégriste quoique affirmant son unité à
Rome. Ce courant traditionnel, face aux difficultés de l’Eglise et du monde, tend
à se figer, à entrer dans un hiératisme sociologique. Il lui semble alors
naturel, que c’est toujours au laïc d’aller vers le prêtre plutôt que le prêtre
aille vers son peuple. Nous retombons dans un concept clérical du prêtre, à la
dignité hypertrophiée qu’il promène comme d’autres promènent leur ridicule. (J’invitais
l’un de ces prêtres à partager notre repas. Dans la tradition romaine, le chef
de famille est l’ordinaire de son lieu, de son foyer. Un prêtre, un évêque vient chez lui, c’est au chef de famille de
présider à la récitation de l’Angélus et après, d’inviter le prêtre à bénir le
repas. Le prêtre que nous recevions, en présence de mes enfants, me fit taire
au moment de réciter l’Angélus). Cette anecdote illustre bien ce hiératisme, ce cléricalisme si lourd de conséquences dans
les XIXème et XXème
siècles. L’Eglise de France connaît une situation
interne dangereuse, car la fuite en avant de sa hiérarchie face aux problèmes
doctrinaux, mais surtout pastoraux, aboutit progressivement à un rétrécissement
de son propre espace de liberté, au point qu’il est difficile, douloureux, de
vivre sa foi catholique dans la simplicité et la fidélité au Siège Apostolique.
Il faut être d’un côté ou de l’autre. Et bien non ! On demande le droit d’être
tout simplement catholique romain, comme le définit le magistère, pour le reste
on s’en fiche. Nous voulons une hiérarchie proche de son peuple, proche
physiquement, sensiblement et soucieuse de relancer la dynamique de la vie
intellectuelle. Une hiérarchie qui cesse de faire écran à l’enseignement du
magistère, qui cesse de se compromettre avec l’esprit du monde et ses princes
et, bienheureux quand cette compromission ne se transforme pas en prostitution
intellectuelle ou en servilité. Nous ne voulons plus d’une hiérarchie qui veut
à toute fin compromettre l’Evangile dans le discours politicien ou idéologique.
Nous voulons une hiérarchie qui nous parle de Dieu, qui nous donne l’appétit du
ciel et, pour ceux que cela
dérange, qu’ils nous quittent ou qu’ils reviennent à
l’ordre établi par Jésus-Christ. Nous voulons la liberté d’être simplement mais
pleinement catholiques au sein de notre Eglise. Messieurs les évêques, messieurs
les prêtres, messieurs les responsables laïcs, l’Eglise ne vous appartient pas.
Elle n’est pas votre propriété, vous en êtes des membres servants. N’oubliez
pas : votre dignité de fonction et d’état vous vient de la pauvreté du Christ
sur la Croix. Vous êtes comptables de cette dignité qui n’est glorieuse que si
elle se met au service des plus humbles, se nourrissant d’un réel esprit de
pauvreté, c’est à dire le désire de Dieu. Vous êtes comptables de l’espérance
du peuple de Dieu dont vous êtes également membres. Vous êtes comptables d’une
liberté interne à l’Eglise qui ne vous appartient pas en propre, vous devez la
sauvegarder. Dépêchez-vous de redevenir les pasteurs auxquels nous aspirons, si
non, les pauvres de Dieu vous botteront le cul. Cessez de faire rire les ânes.
La hiérarchie
catholique, face aux problèmes d’impureté, tel que la pédophilie, est soumise à
plusieurs principes de base : l’Eglise est ordonnée aux soins des âmes, elle ne
saurait être un instrument de répression. La hiérarchie sacerdotale est soumise
à deux obligations incontournables : le secret de la confession et le silence
commis, nul ne peut distraire une confidence. Ces principes ne peuvent être
outrepassés, quels que soient les risques juridiques encourus. Nous savons
qu’un pédophile est quelqu’un de très intelligent, il n’a pas son pareil pour
piéger son entourage, quand il s’agit d’un prêtre, il lui est très facile
d’agir de la sorte avec sa hiérarchie. Il importe donc, de trouver une action
possible pour que le pédophile ou tout autre pervers
soit remis aux mains de la justice des hommes. La démarche la plus importante
est de se mettre en rapport avec les familles de victimes, puis de pousser le
coupable à se rendre. On doit le suspendre, même à partir de simples soupçons
et, diligenter une enquête. L’évêque doit avoir à coeur d’être auprès des
victimes, de leur porter toute l’assistance possible, sans négliger les secours
au coupable. Il n’y a pas opposition entre la loi de Dieu et celle des hommes
quand celle-ci est conforme à la loi naturelle et à la morale qui en découle.
La justice des hommes, malgré son imperfection, est conforme au projet de Dieu
sur l’humanité, elle entre mystérieusement dans l’économie du salut. La justice
humaine est un moyen de rédemption.
Dans le procès contre
Monseigneur Pican, on a sorti les instruments
anticléricaux les plus grossiers qui soient. En fait, cet évêque illustre bien
le domaine restreint de son autorité. Il est inadmissible que le parquet de
Caen l’ait poursuivit. Ce procès honore le sacerdoce. Le prêtre, à la retraite,
qui se constitua partie civile contre son évêque, s’est frappé d’indignité.
Sans intérêt direct dans cette affaire, par sa démarche, il a ajouté à la
souffrance de l’Eglise, à son humiliation. J’espère que sa hiérarchie le
sanctionnera, il doit être mis à l’écart de toute vie pastorale. Son attitude
s’assimile au règlement de compte. Il est vrai que la médiocrité est une valeur
inflationniste. Je suis très impatient de voir comment la justice va s’y
prendre avec l’affaire de l’instituteur pédophile, va-t-elle se retourner
contre les inspecteurs d’Académie qui savaient et qui ont couvert ces
agissements pendant trente ans ? Nous allons savoir si notre personnel de
justice est bien au service de tous équitablement ou si, comme je le redoute,
il demeure aliéné à des principes idéologiques qui font que l’on poursuit un
évêque parce qu’il s’est tu, et que l’on ne poursuivra pas les complices
passifs d’un pédophile, qui a sévi pendant trente ans dans l’exercice de son
métier, parce que cela touche l’éminent service public de l’enseignement de la
République ? (En 1980, dans un collège laïc de l’Académie de Montpellier, les
faits suivants se sont produits : «Une famille catholique pratiquante y avait
placé ses deux enfants, une fille et un garçon. Un jour, l’un des professeurs
s’adressa au garçon en ces termes : «mon garçon, tu
devrais coucher avec ta soeur !.. » Il n’y avait aucune ambiguïté quant au sens
du terme coucher. Les parents en informèrent le proviseur qui leur répondit
ceci : «Si vous portez plainte contre ce professeur, nous ferons en sorte que
votre démarche apparaisse comme un combat politique» Les
parents ne purent que retirer leurs enfants de cet établissement). Il suffit de
se remémorer le comportement de la presse au sujet de Monseigneur Pican et de le comparer à l’affaire de cet instituteur ? Se
trouvera-t-il un journaliste pour enquêter, dans l’intérêt du droit à
l’information, sur le silence complice des services de l’inspection académique
? J’ai bien peur que les ânes aient là un sujet hilarant pour les soirées
d’hiver. Les
médiats ont la liberté d’informer le peuple de tous les événements qui se
produisent, ce droit est indiscutable légalement, ce qui ne signifie pas, que
ce droit soit moralement aussi absolu que l’on voudrait bien nous le faire
admettre. En présence d’événements aussi tragiques et sensibles que la
pédophilie, la prostitution, et tout ce qui concerne la morale du corps, les
médias devraient faire preuve de plus de retenue. Dans
des affaires comme celles de la Belgique, du Pas de Calais, pourquoi y revenir
sans cesse comme s’il s’agissait d’une gourmandise qu’on aime se repasser et
qui revient en boucle, avec cette démarche malsaine de rechercher des
informations du voisinage ? Il y a là une forme de voyeurisme qui ne convient
pas ni pour les victimes, ni pour les familles des coupables. Les médiats,
depuis bien longtemps, sont affligés d’un manque de respect de la personne. Au
nom du droit à l’information, ils se croient tout permis. Votre permission
s’arrête là où commence le respect de la personne, du criminel et de sa famille
comme des victimes et de leur famille. Le sensationnel est une source assurée
de profits, mais c’est aussi un peu, une forme de prostitution intellectuelle
et morale. Je ne crois pas qu’il soit dans
l’intérêt de la communauté d’étaler avec gourmandise des
faits aussi tragiques, aussi pénibles et redoutables. Ces faits divers n’ont
pas à être traités comme l’on étire de la confiture sur sa tranche de pain. La
souffrance n’est pas une marchandise. Certains médiats, saisissent ce genre
d’événement, lorsqu’il met en cause un prêtre ou une institution, pour
orchestrer immédiatement une campagne anticléricale. Ils utilisent un événement
douloureux comme moyen de propagande idéologique ou pour se venger de la
position de l’Eglise en matière de morale. Je ne pense pas que l’on puisse
qualifier de « bonne guerre » cette manière de faire. c’est
surtout révélateur d’une très grande pauvreté intellectuelle et d’une grande
misère intérieure. Cette façon d’agir est d’autant plus pénible, qu’elle est
souvent le fait des stations du service public, elles devraient donner
l’exemple de la retenue et du respect de l’autre. Mais peut-on attendre, du
service public d’information, de la grandeur, quand il sert un parti pris
idéologique ou qu’il se dévoie en se substituant à la justice et, que sur
commande, il condamne ? Les autorités politiques de notre pays viennent de décider
d’une campagne d’information sur la pédophilie, une décision prise dans
l’urgence face à la multiplication de ces délits et à leur gravité. Je crois
que les dirigeants ont manqué de recul, car l’efficacité de ce genre de
campagne médiatique n’apparaît pas aussi évidente. Encore une fois, c’est Paris
qui a décidé, cette campagne sera nationale. On va contribuer à l’étalage d’un
mal qui pourrait se retourner contre ceux que l’on veut protéger, qui agacera,
sera instinctivement rejeté et pourra même perturber certains malades. Ce que
j’ai vu, confirme mon appréhension. C’est de l’indécence. Il me semble, que si
campagne d’information il devait y avoir, il aurait fallu l’organiser à
l’échelle départementale ou régionale avec la collaboration de toutes les
associations concernées et l’implication de toutes les autorités politiques,
morales et religieuses de ces régions qui connaissent bien le terrain. Il faut
privilégier un travail de proximité. Des initiatives ont été prises par des
institutrices de maternelles, dans des écoles privées sous contrat. Leur
intervention consista à dire aux jeunes enfants
qu’il ne fallait pas qu’ils se laissent embrasser sur la bouche par leur proches et qu’ils devaient refuser qu’on leur touche
certaine partie de leur corps. Cette démarche s’est établie sans pudibonderie
avec beaucoup d’attention et, sans porter atteinte à l’autorité ni au prestige
des parents. Elle porte de bons fruits. Je crois, qu’il faut rechercher la
prévention de ce côté là. Envers les parents, on devrait réfléchir à la mise
sur pieds de cycles de formation, pas seulement d’information, car nous devons
avoir en tête que les générations de parents, entre 1968 et nos jours, ont,
pour la plupart d’entre eux, reçu que peu d’éducation pour leur permettre de se
construire une vie autrement qu’avec les simples repères de jouissance
matérielle immédiate. La plupart d’entre eux ne sont donc pas en mesure
d’élever leurs enfants. La génération de ceux qui, Aujourd’hui s’indignent de
cette situation, ont largement contribué à la libération des m’urs. Au lieu de crier au loup, ne feraient-ils pas mieux de
reconnaître qu’ils se sont trompés ? Comment peut-on croire au bon sens des
politiques quand, dans leur rang, se trouvent des ministres qui ont fait savoir
leur indignation à toute idée d’un retour aux valeurs morales ? Toutes les
campagnes d’informations, qui ne seront pas précédées par une remise en cause
de notre société et des politiques qui nous ont amenés là où nous en sommes, ne
porteront que peu de fruits. s’il y a une telle
multiplication de crimes sexuels, ce n’est pas seulement qu’on en parle mieux,
cette réponse est un déni de bon sens et de courage intellectuel. Il faut y
chercher les causes dans la perversion constante et active de nos sociétés,
cesser de se réfugier derrière l’affreux problème des enfants. Il n’est plus
temps de se payer une conscience
en
aggravant les peines ou en montrant un zèle impudique, pour dissimuler nos
lâchetés coupables et notre propre prostitution morale, culturelle et spirituelle.
Notre réflexion doit porter sur les raisons qui ont déstructuré nos sociétés et
sur la nécessité d’un retour au respect de la loi naturelle. Il incombe au
pouvoir politique d’aider la société à retrouver ses réflexes de défenses
naturelles ainsi que ses structures, qui lui permettront de protéger les plus
faibles sans oublier la part de Dieu. L’histoire de nos sociétés, la puissance
de notre civilisation n’ont pas à nous faire craindre une remise en cause de ce
que nous considérons comme définitivement acquis. Nous avons les moyens et
l’obligation de relever les défis. Il y va de la pérennité de nos sociétés, du
sourire de nos enfants. On ne peut tout attendre des lois, on ne peut tout
attendre de la justice, on ne peut attendre tout de la médecine. L’acte humain
doit retrouver son éclat, sa vérité, toute sa vérité sociale sans en retrancher
sa part de divinité. La démarche intellectuelle doit être remise en cause et
sortir de tous les carcans. Elle ne doit pas avoir peur de son propre
mouvement, de sa liberté tant qu’elle s’efforcera d’être au service de la
vérité sans laquelle il ne peut y avoir de liberté et de dignité humaine. Si
nous ne sommes pas sur le front des espérances naturelles et surnaturelles
alors les peuples rugiront leur désespérance, ils nous coucheront dans le
linceul de la honte. Nous
devons aider les institutions, telle que la justice, à retrouver leur place
dans les espérances naturelles vers lesquelles tend légitimement le peuple. L’effondrement
du respect de la loi naturelle et de la plupart des valeurs morales qui en
procèdent, ainsi que celui de la vie de l’esprit, sont les causes majeures de
l’enfermement de nos sociétés dans l’appétit matériel, dans une jouissance de
l’immédiat et de la proximité massive. Cette situation entraîne le citoyen à
avoir recours à l’appareil judiciaire pour toutes sortes de problèmes. Il
s’agit d’assouvir un besoin de se rassurer. On attend tout de la justice, mais
en même temps on la craint. Elle s’éloigne de plus en plus du citoyen, du moins
elle en donne l’impression et, dramatiquement pour l’ensemble de la société,
elle semble réfléchir, à tors ou à raison, la corrosion de la société au point
qu’on la soupçonne d’y être mêlée. Les différentes crises qui la traversent et
la tordent dans tous les sens, la desservent. Elle n’a plus l’image de la
sérénité, elle ne donne plus l’impression de décisions résolues dans ses actes.
On la perçoit écartelée dans un manichéisme idéologique qui rend opaque le
besoin exigent de justice. Pour beaucoup de citoyens, elle n’est plus qu’un
point très éloigné dans le champ rétréci de l’espérance naturelle immédiate.
Dans la vie de la cité, la justice arrive au premier plan des priorités Elle ne
doit pas être la propriété d’un quelconque pouvoir politique, idéologique ou
religieux. En effet, sa mission essentielle est de faire la vérité sur les
actes et les intentions et, par ce moyen, restituer la dignité tant aux
victimes qu’aux coupables. La justice n’est pas séparable de l’exigence
spirituelle. Son émergence dans la vie de la cité est le résultat progressif
d’une demande émanant du besoin de l’équilibre et de l’harmonie des actes
individuels et communautaires. Sa mission entre donc dans l’économie du salut,
car elle permet à tout homme, qui la sollicite, de retrouver le chemin de la
Rédemption, d’être réintégré, reconnu par la communauté, qu’il s’agisse de la
victime ou du coupable. Un événement historique devait donner à la justice des
hommes sa légitimité, malgré son imperfection, qui fut dramatiquement illustrée.
Saint Jean l’évangéliste rapporte le dialogue suivant entre Jésus et Pilate : «Ne
sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher et que j’ai le pouvoir de te
crucifier ? » Jésus lui répondit : « Tu n’aurais
aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut»
(Jean 19 v.10-11) Dans ce dramatique échange, Dieu, en la personne de son Fils Unique,
reconnaît la légitimité à l’homme de juger les actes de son prochain selon les
lois reconnues de la cité. C’est là, un principe qui ne peut être remis en cause par aucune volonté. Même si la justice
humaine se doit de se tromper le moins possible, et c’est pourquoi, on a
institué divers recours, nous devons accepter que cette justice, qui est la
nôtre, puisse se tromper. Il n’est pas acceptable de se saisir d’une erreur
pour tenter de la saborder, de même qu’il est inadmissible de commenter un
jugement. Ces deux attitudes contribuent à fragiliser cette institution qui
nous est si nécessaire. Malgré les faiblesses de ses serviteurs et la faiblesse
des lois et de sa « non-infaillibilité », il faut
continuer d’espérer en elle, car contrairement à ce
que certaines forces occultes voudraient nous le faire croire, elle reste l’un
des fortins avec les armées où l’ont peut encore puiser une pure espérance. Elle
est l’un des plus beaux remparts avec la foi religieuse contre la désespérance
suicidaire. Qu’il y ait dans son sein des éléments corrompus cela ne fait aucun
doute, qu’elle est à subir les coups corrupteurs de volontés perverties et
occultes c’est évident. Elle doit surmonter ses maux, car l’aspiration à la
justice est incluse dans la nature de tous les actes de la vie. Elle est comme
une inclusion au coeur même de la respiration de l’homme. Tout imparfaite
qu’elle soit, elle possède une capacité à se rénover, à se restaurer ce qui
exclut donc tout découragement à son encontre. Son triomphe est interdépendant
de celui de la génération humaine. Et, malheur à ceux qui tendent à la
détourner de sa mission, à l’affaiblir, ceux là n’entreront dans aucune mémoire,
leur nom ne sera plus prononcé. Dans les cas de moeurs et surtout la
pédophilie, au premier degré de la douleur, la victime exige tout de la
justice, elle ne tolère ni retard, ni faiblesse. L’apaisement, le retour à
l’espérance dépendront beaucoup des inspecteurs et de l’avocat, il leur faudra
avoir la patience d’expliquer les procédures. Il sera d’autant plus facile de
patienter, que les victimes comprendront les raisons du temps, souvent trop
long, de l’instruction. L’importance n’est pas tant dans la sanction que dans
la recherche de la vérité. Le procès n’a de sens profond que parce qu’il
publiera la vérité des faits et, que par cette oeuvre, il permettra aux
victimes d’être reconnues pour ce qu’elles sont, des victimes. La
sanction, si elle est nécessaire, n’a de sens que
parce qu’on aura d’abord établie la vérité. La légitimité de la sanction
résultera de l’établissement de la vérité des faits. L’impatience des victimes
vient de ce besoin de reconnaissance, les trop longs retards sont parfois bien
cruels. Il est inadmissible que le pouvoir politique ne considère pas la
justice comme la priorité des priorités pour le plus grand bénéfice de la cité.
L’appareil judiciaire doit obtenir, au plus vite, les moyens, tous les moyens
nécessaires à sa mission. Aucun Etat, aucun peuple, ne peut tenir sans une
justice forte, efficace, claire. La première mission du politique est d’assurer
une justice pour tous, au bénéfice de tous. Une justice faible appartient à un
Etat qui s’effondre. Les problèmes de l’insécurité ne se régleront pas sans le
préalable d’une justice honorée et honorable, efficace et humaine. La sanction
doit être proportionnelle à la faute ou au crime commis et à la souffrance des
victimes. Il est dans la nature des choses que les lieux d’incarcération
relèvent du ministère de la justice, puisqu’il appartient à la justice de faire
exécuter la sentence. Mais pour que celle-ci puisse porter les meilleurs fruits
chez le coupable, encore faudrait-il veiller à ce que la prison soit un lieu de
rédemption. La privation de liberté est une mesure légitime, utile. On peut
considérer que dès le début d’une enquête commence, pour le coupable,
l’élaboration de son rétablissement dans la cité, mais qu’elle ne se mettra
réellement en mouvement qu’au prononcé du jugement et à l’exécution de la
peine. Tout doit être fait pour que le coupable accepte la sanction et
l’accueille comme
une nouvelle chance de se reconstruire. Un coupable jugé, quelle que soit
l’énormité de la faute, ne doit pas se sentir coupé de la communauté des
hommes, non ! Il est dans la nature de la condition humaine d’être faible et,
ce qui fait qu’un homme reste dans le cadre de la loi et d’autres pas, c’est
que l’un admet cette faiblesse et que l’autre n’en a pas pris conscience ou ne
l’admet. Le coupable doit comprendre que, dès le moment où il est reconnu pour
tel, qu’il est identifié par la recherche de la vérité, même s’il devait subir
la peine capitale, réintègre la communauté des hommes grâce à cette
reconnaissance. Dans les cas de pédophilie, il faut remédier à la lenteur des
instructions, surtout quand les victimes ont à supporter les suspicions ou
comme nous, à subir une campagne de calomnie. Il y a urgence, à trouver un
remède pour empêcher que l’on puisse agir de la sorte envers des victimes.
Notre entretien, avec le juge d’instruction, nous a laissés dubitatifs. A tors,
sans doute, il me sembla que ce fait divers, n’étant pas dramatique comme le
sont certains, n’avait pour lui aucun attrait intellectuel. Mais je crois,
qu’il s’agissait plutôt d’une prise de distance nécessaire à l’instruction et
d’une saturation de misère humaine. Nous n’avons pas ressenti la même attention
que lors de l’enquête policière. Dans ces cas là, il serait souhaitable qu’il y
ait un accompagnement proposé aux victimes et à leur famille. Les associations
qui s’occupent de ces affaires devraient avoir une permanence ou un relais dans
l’administration judiciaire, car la réaction des victimes et de leurs parents
est de se replier, s’isoler. La charge de la honte est immense. Ils n’ont pas
la volonté, la
force, de se tourner vers ces associations et, après avoir surmonté la première
période, ils s’estiment capables d’affronter seuls la situation. C’est une
erreur.
Le pape Jean-Paul II
demande que l’on réfléchisse à la possibilité de requalifier le crime de
pédophilie, en crime contre l’humanité, en raison du développement des réseaux
de prostitution. C’est une demande justifiée. Nous savons, qu’en dehors des
malades mentaux, la plupart des pédophiles sont de vrais pervers, des pervers
structurés, intelligents. Ils ont une volonté de détruire ce qui est le plus
beau don de la vie, l’enfant. Le pédophile est un monstre aussi cruel que les
tortionnaires de tout horizon. Son agression est une atteinte absolue à la dignité
de la personne, à l’intégrité du corps. C’est pourquoi le pape voudrait qu’un
tel crime soit requalifié en crime contre l’humanité afin que leurs auteurs ne
puissent échapper à l’œuvre de la justice. Tout criminel impuni continuera de
répéter ses actes d’autant plus qu’il aura le sentiment de l’impunité. Voilà
pourquoi l’auteur de tels faits ne doit trouver de répit dans aucun pays.
Il est souhaitable que
cette demande soit entendue et qu’elle face l’objet d’un consensus. L’un des
résultats de cette requalification serait psychologique, il ferait comprendre
l’existence d’une volonté commune pour poursuivre ces criminels et témoignerait
d’une prise de conscience universelle de ce fléau.
Les délits, qui concernent la morale sexuelle, sont
toujours une source de grandes souffrances, car ils touchent à l’intégrité de
la personne, qu’il s’agisse d’agression ou de consentement comme la
prostitution des adultes. Dans tous les cas, il y a atteinte physique, morale,
psychique, ces atteintes sont un moteur de désagrégation de la personne. Tuer,
torturer et agresser sexuellement sont des crimes, des actes définitifs. Ils
sont l’aboutissement d’un délabrement intérieur. Le regard à poser sur ces
victimes et leur entourage doit être, non seulement celui de la compassion,
mais surtout ne pas être celui de la peur, ni accusateur. En général, il faut
s’abstenir de tout jugement, mais pour les agressions sexuelles il faut
l’appliquer impérativement, car tous ceux, qui en sont touchés, ont besoin de
sollicitude. Soyez respectueux de leur souffrance, vous êtes au seuil d’un
mystère, n’en franchissez pas le sanctuaire sans y être invités, il ne vous
appartient pas d’en ouvrir les portes. Pleurez avec eux, soyez muets s’ils se
taisent, soyez simplement là pour que dans leur chute ils trouvent votre
sourire. Ne craignez pas de regarder ce fléau en face, il révèle la misère de
l’être humain. Il nous renvoie, plus qu’aucun peut être, à la
condition humaine, qui est d’être constamment en but au choix entre le bien
et le mal, le dramatique et douloureux exercice du
libre arbitre. L’homme est, de tous les vivants, le plus beau, le plus grand,
il ne faut pas douter de ce qu’il est. La liberté, qu’il possède autant qu’il
en est possédé, certifie sa grandeur, authentifie sa majesté. Malheureusement,
nos sociétés perdent les appuis sur lesquels elles devraient pouvoir activer
ses régulateurs, permettant à tout citoyen de mieux contenir ses faiblesses, de
résister aux succulences multiformes de la mort désespérée. Elles doivent
reconsidérer le regard qu’elles posent sur l’homme, l’accueillir comme il est
et non pas projeter sur lui un homme idéal, qui n’existe que dans les rêves et
les basses-fosses des amertumes et des médiocrités.
L’homme doit
reconquérir son être, redécouvrir la présence de son âme alors, il renouvellera
la grâce ineffable de son sourire. Sa dignité est plus grande que lui-même
"Enfant lève toi"
chez Académie Européenne du livre, en vente chez l’auteur. Ce livre est le récit de son expérience intérieure.